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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Au mois de juin 1543, le fort était occupé par trente hommes sous les ordres du sieur de Royèze, nouveau lieutenant de Roberval. Ce dernier, à la tête de soixante-dix personnes, s’était mis à la recherche du pays imaginaire, ce Saguenay qui recelait l’or et l’argent. Une barque se perdit, huit individus se noyèrent, dont l’un était le sieur de Noirefontaine. La garnison de France-Roy n’avait de vivres que pour vingt-cinq jours, et on lui permettait de repasser en France si elle les épuisait avant que d’avoir revu Roberval ; néanmoins, elle réussit à se maintenir en se rationnant à quatre onces de blé par jour en attendant la récolte.

La tentative de découverte opérée par Roberval en 1543 se rattache à une idée vieille de plusieurs siècles dans l’histoire du commerce et de la navigation des peuples civilisés. Après Marco Polo, qui se rendit en Chine au XIIIème siècle, les nations de l’Europe tentèrent de se frayer un passage vers ce pays, représenté comme la source des plus riches productions qu’il y eût sur le globe. De là les courses aventureuses dont Vasco de Gama, Christophe Colomb et Fernand Magellan sont les héros à jamais célèbres.

Lorsqu’à son tour le navigateur de Saint-Malo, envoyé par François Ier, toucha aux côtes de l’Amérique septentrionale, il avait deux missions importantes à remplir : préparer le salut éternel des Sauvages, et trouver un chemin qui permît d’atteindre l’Asie plus promptement que par les voies connues. Le fleuve Saint-Laurent promettait de se prolonger si loin vers l’ouest, que Cartier crut sérieusement à la réalisation de cette dernière partie de son projet. C’est pourquoi il mit tant de diligence à visiter le Mont-Royal, et à s’enquérir des mers et des rivières qui coulent au-delà. Dans cet espoir, il voulut aussi parcourir les terres du nord à travers lesquelles descend le Saint-Maurice ; il y était surtout entraîné par les Sauvages de Québec, qui lui parlaient d’un prétendu royaume fabuleusement riche, situé dans cette direction et qu’il n’avait pas de peine à prendre pour le Cathay (la Chine) et le Zipangu (le Japon). Par la suite, un meilleur examen de la contrée le convainquit peut-être de son erreur ; car il ne paraît plus s’en occuper, si ce n’est lorsqu’il retourne au Mont-Royal en 1541. Se voyant entouré d’immenses contrées et de cours d’eau infinis, il dût s’apercevoir qu’il était au centre d’un continent plus difficile à traverser que les flots des deux océans.

Roberval profita de son séjour sur le Saint-Laurent pour envoyer Jean Alphonse reconnaître les côtes du golfe et les abords du grand fleuve. Nous avons le routier dans lequel il décrit sa navigation depuis l’entrée du détroit de Belle-Isle jusqu’à Montréal, sans avoir trouvé, bien entendu, le passage de la Chine, qu’il avait surtout mission de découvrir par le Labrador, au cas où il y eût une voie praticable de ce côté.

La route de la Chine est restée forcément, jusqu’à nos jours, l’idée fixe d’un grand nombre de personnages éminents. Nous avons eu l’expédition qui alla échouer à son début, dans l’île de Montréal, et que l’esprit caustique de nos pères commémora en nommant le lieu de la débandade la Chine ; nous avons eu les héroïques voyageurs qui tentèrent de passer d’une mer à l’autre par les régions glacées du pôle nord. Le chemin de fer du Pacifique a enfin franchi les montagnes et les prairies découvertes par nos ancêtres ; la Chine est maintenant à la porte des États-Unis. La France a coupé l’isthme de Suez, qui rapproche l’Europe des