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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

sujet. Lorsque nous découvrîmes ce vaste continent, il était rempli de bêtes fauves. Une poignée de Français est venue à bout de les faire disparaître presqu’entièrement en moins d’un siècle, et il y en a dont l’espèce manque tout-à-fait. »

Retournons à la compagnie Chauvin-Pontgravé. Elle ne coûtait rien à la couronne. Les associés prenaient toutes les dépenses à leur charge. Restait à savoir si la commission serait exécutée jusqu’à la dernière clause, ce dont Pontgravé ne doutait point, comme il le prouva ; il n’en était pas ainsi de Chauvin, qui ne visait qu’à la traite et pas du tout à créer des établissements, bien qu’il parlât sur tous les tons de mener cinq cents hommes commencer le peuplement de cette Nouvelle-France.

Plusieurs ouvriers de divers métiers s’embarquent en effet ; les vaisseaux quittent Honfleur et prennent la mer. On avait amené des pasteurs protestants, mais pas de prêtres catholiques.

Jusque là, Chauvin avait tout commandé. Une fois sorti du port, il passa un bâtiment à Pontgravé avec le titre de lieutenant ou second capitaine de la flotte. C’était en 1599, de bonne heure au printemps.

À Tadoussac, rendez-vous annuel des Sauvages et des traiteurs français, « ils délibérèrent d’y faire une habitation ; lieu le plus désagréable et infructueux qui soit en ce pays… » Chauvin tenait pour Tadoussac, contrairement au sieur de Monts, qui l’avait suivi par plaisir et qui appuyait le projet de Pontgravé de se rendre en un climat meilleur, « car s’il y a une once de froid à quarante lieues amont le fleuve, il y en a une livre à Tadoussac, » dit Champlain. C’était là, néanmoins, que Chauvin voulait bâtir un logis et laisser des hommes en hivernement ; son idée ne se tournait que vers la traite, tandis que Pontgravé, fidèle à ce qu’il semble au double but de la commission royale, persistait à se rendre près du lac Saint-Pierre[1], au lieu appelé les Trois-Rivières, où les Sauvages l’avaient accueilli avec empressement dans les précédents voyages, et avaient fourni un trafic abondant à ses vaisseaux. Sur ce, la discorde éclata. Non-seulement les deux chefs étaient de religions contraires (bon moyen d’évangéliser les idolâtres !), mais ils ne s’entendaient nullement sur l’article des obligations contractées envers le roi. L’affaire, en un mot, était aussi mal conduite que possible. L’introduction de Chauvin dans l’entreprise de Pontgravé paralysait les efforts de celui-ci du côté de la colonisation et sous le rapport de la conversion des Sauvages, si toutefois ce point occupait Pontgravé.

On édifia donc à Tadoussac une cahute en cloisonnage, de quatre toises sur trois et de huit pieds de haut ; « une maison de plaisance, » dit Champlain sans badiner, où seize hommes furent laissés pour l’hiver. Chauvin, Pontgravé, de Monts s’en retournèrent en France.

Pierre du Gua ou du Guast, sieur de Monts, né en Saintonge, mais d’origine italienne, gouverneur de Pons, en Languedoc, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi Henri IV, huguenot et bon serviteur du Béarnais pendant la Ligue, était fort aimé de celui-ci pour ses services. Il devait être parent du capitaine du Guast, favori de Henri III, qui fut chargé, en

  1. Ce nom a été imposé par Champlain en 1603.