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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

rateur émérite. M. de Chaste lui proposa de servir son dessein, ce qui fut accepté, ensuite ratifié par Henri IV, qui voulut avoir de Champlain un rapport spécial de ses découvertes et observations en la Nouvelle-France. Il quitta Paris porteur d’une lettre du secrétaire du roi le recommandant à Pontgravé.

Avant d’aller plus loin, occupons-nous de lui. La figure attrayante de Champlain se montre à la première page de la colonisation du Canada ; elle prend tout l’espace dans ce cadre encore petit, et déborde pour ainsi dire au dehors. De quelque côté que l’on retourne ou que l’on renverse la page, toujours Champlain se retrouve au sommet. Grands noms de noblesse, ou titres pompeux, aventuriers habiles ou autres, Chauvin, le commandeur de Chaste, Pontgravé, de Monts, Poutrincourt, madame de Guercheville, le comte de Soissons, le prince de Condé, le duc de Ventadour, l’amiral de Montmorency, tous, même le cardinal de Richelieu, s’effacent devant la persévérance, l’activité, le patriotisme du fondateur de Québec — celui que l’on peut à bon droit appeler le premier Canadien. Ils ne sont strictement que des aides, des auxiliaires, des outils, des comparses ou des seconds rôles, tandis que Champlain reste l’âme de tout le mouvement. Lui seul pouvait surmonter, un par un, durant plus d’un quart de siècle, autant d’obstacles qu’il en fallut pour décourager cinquante marchands, dix coureurs d’aventures et quatre ou cinq princes du sang. Aucune tache ne ternit cette belle mémoire. Dévoué à une noble cause, il l’a servie jusqu’à la mort. Ses travaux ont été une semence extraordinaire. Son nom résume tout le commencement de notre histoire.

Samuel de Champlain, fils d’Antoine de Champlain, capitaine de la marine, et de Marguerite Le Roy, naquit à Brouage, en Saintonge, l’année 1567[1] On a inféré de son nom de baptême qu’il était d’une famille huguenote ; mais Antoine et Marguerite, noms de son père et de sa mère, sont aussi catholiques que tout autre, et rien ne justifie une supposition d’ailleurs dépourvue de toute preuve.

Champlain était, dit-on, d’une famille de pêcheurs. Dans certains actes il est qualifié de « noble homme, » mais pas plus cela que la particule « de » n’atteste la noblesse de rang ou de sang. M. l’abbé Laverdière observe que la plupart des Canadiens actuels, en recourant à leurs anciens titres écrits, pourraient constater qu’ils descendent, eux aussi, d’un « noble homme » qui ne reçut jamais de lettres de noblesse.

Dès ses premières années, Champlain se sentit une vocation particulière pour la carrière de la navigation. « C’est cet art, dit-il dans une épître adressée à la mère régente, Marie de Médicis, qui m’a, dès le bas âge, attiré à l’aimer, et qui m’a provoqué à m’exposer presque toute ma vie aux ondes impétueuses de l’océan. » Ce qui ne l’empêcha pas de profiter des autres occasions de s’instruire, comme le prouvent suffisamment ses écrits.

Fils de pêcheurs ou « fils de famille, » le jeune homme se recommandait de lui-même par ses rares aptitudes. À vingt-cinq ans (1592), il était maréchal des logis dans l’armée de Bre-

  1. Nous suivons principalement la savante biographie publiée en tête des Œuvres de Champlain par M. l’abbé Laverdière.