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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Pontgravé ne tarda pas à retourner à Port-Royal (31 juillet), d’où il était parti le 16 juillet, avec Champlain, pour explorer les côtes. Il y demeura jusqu’au 28 août. « Et pendant ce mois, grande réjouissance. Le sieur de Poutrincourt fit mettre un muid de vin sur le cul, l’un de ceux qu’on lui avait baillés pour sa bouche, et permission de boire à tous venants tant qu’il dura, si bien, qu’il y en avait qui se firent beaux enfants. »

Poutrincourt, homme aux idées saines en général, songeait à l’avenir. Il avait décidé d’établir sa famille en Acadie, et de fonder un établissement dont il serait le chef, le seigneur, une sorte de roi de l’ancien temps, à la fois créateur et administrateur. Ce rêve poétique était en tous points réalisable. Heureux les esprits qui innovent ; heureux les chrétiens qui ouvrent des horisons inattendus à l’activité humaine, et songent à déverser le surplus des populations du vieux monde dans les territoires qui appellent le colonisateur. « C’est au labourage qu’il nous faut tendre, dit Lescarbot. C’est la première mine qu’il nous faut chercher, laquelle vaut mieux que les trésors d’Atabalippa (Pérou). Et qui aura du blé, du bétail, des toiles, du drap, du cuir, du fer, et, au bout, des morues, il n’aura que faire des trésors quant à la nécessité de la vie. Or, tout cela est, ou peut être, en la terre que nous décrivons, sur laquelle ayant le sieur de Poutrincourt fait faire, à la quinzaine, un second labourage, il l’ensemença de notre blé français, tant froment que seigle, et de lin, navette, raifort, choux, et autres semences. Et à la huitaine suivante, vit son travail n’avoir été vain, mais une belle espérance par la production que la terre avait déjà fait des semences qu’elle avait reçues. Ce qu’ayant été montré au sieur du Pont, ce lui fut un sujet de faire son rapport en France de chose toute nouvelle en ce lieu là. »

Au milieu des fêtes de Port-Royal, Lescarbot n’oublia pas qu’il était poète. Le 25 août (1606), voyant Pontgravé sur le moment de mettre à la voile, il lui adressa une pièce de vers qui commence ainsi :


Allez doncque, voguéz, ô troupe généreuse,
Qui avez surmonté d’une âme courageuse
Et des vents et des flots les horribles fureurs,
Et de maintes saisons les cruelles rigueurs,
Pour conserver ici de la française gloire
Parmi tant de hasards l’honorable mémoire.
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Du Pont, dont la vertu vole jusques aux cieux
Pour avoir su dompter d’un cœur audacieux
En ces difficultés, mille maux, mille peines,
Qui pouvaient sous le faix accraventer tes veines.


Champlain devait s’occuper de découvertes, le long des côtes jusqu’à la Floride ; en attendant, il logeait avec Pontgravé, séparément des quarante-cinq hommes de Port-Royal. Ses courses, en 1604 et 1605, l’avaient beaucoup éclairé sur la nature du pays. L’année suivante, accompagné de Poutrincourt, il poussa jusqu’au cap Malbarre, sans retrouver, bien entendu, le climat qui l’avait charmé au Mexique, et dont il conservait un agréable souvenir.