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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

établies à placer leurs enfants sur les terres subséquentes. Le seigneur lui-même se trouvait poussé, par son propre intérêt, à favoriser leur extension ; en effet, le droit prélevé sur les lods et les ventes était d’un bon rapport. Or, plus sa seigneurie était peuplée, plus étaient nombreuses les mutations, et plus ses revenus grossissaient[1]. »

On a prétendu que les seigneurs, mis en possession de grandes étendues de terres, étaient libres de les vendre, toutes ou parties, c’est-à-dire de faire ce que de nos jours on nomme une spéculation. Sir Louis-Hypolite Lafontaine a démontré clairement que, d’un côté, avant les deux arrêts de Marly, 1711, il n’existait aucun texte ou « titre » qui empêchât formellement le seigneur d’en agir ainsi, mais que, d’un autre côté, si « la défense de vendre n’était pas écrite en termes exprès dans les actes d’inféodation, on peut raisonnablement prétendre qu’elle résulte de l’ensemble de leurs stipulations, de leur esprit, de leur teneur, ainsi que de toute la législation antérieure sur l’obligation de défricher, et partant de sous-concéder. »

Voici le texte des deux arrêts de Marly : 1o « Le roi étant informé que dans les terres que Sa Majesté a bien voulu accorder et concéder en seigneurie à ses sujets en la Nouvelle-France, il y en a partie qui ne sont point entièrement habituées et d’autres où il n’y a encore aucun habitant d’établi pour les mettre en valeur, et sur lesquelles aussi ceux à qui elles ont été concédées en seigneuries n’ont pas encore commencé d’en défricher pour y établir leurs domaines ; Sa Majesté étant aussi informée qu’il y a quelques seigneurs qui refusent, sous différents prétextes, de concéder des terres aux habitants qui leur en demandent dans la vue de pouvoir les vendre, leur imposant en même temps des mêmes droits de redevance qu’aux habitans établis, ce qui est entièrement contraire aux intentions de Sa Majesté et aux clauses des titres de concessions par lesquelles il leur est permis seulement de concéder les terres à titre de redevance, ce qui cause aussi un préjudice très considérable aux nouveaux habitans qui trouvent moins de terre à occuper dans les lieux qui peuvent mieux convenir au commerce. — À quoi voulant pourvoir, Sa Majesté étant en son conseil a ordonné et ordonne que dans un an du jour de la publication du présent arrêt, pour toute prefixion et délai, les habitans de la Nouvelle-France auxquels Sa Majesté a accordé des terres en seigneuries, qui n’ont point de domaine défriché et qui n’y ont point d’habitans, seront tenus de les mettre en culture et d’y placer des habitans dessus, faute de quoi et le dit tems passé, veut Sa Majesté qu’elles soient réunies à son domaine à la diligence du procureur général du conseil supérieur de Québec, et sur les ordonnances qui en seront rendues par le gouverneur et lieutenant général de Sa Majesté et l’intendant au dit pays ; ordonne aussi Sa Majesté que tous les seigneurs au dit pays de la Nouvelle-France ayent à concéder aux habitans les terres qu’ils leur demanderont dans leurs seigneuries à titre de redevances et sans exiger d’eux aucune somme d’argent pour raison des dites concessions, sinon et à faute de ce faire permet aux dits habitans de leur demander les dites terres par sommation, et en cas de refus de se pourvoir pardevant le gouverneur et lieutenant général et l’intendant au dit pays,

  1. Rameau : Revue Canadienne, 1873 ; La France aux colonies, II, 15.