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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

pour servir au dit sieur de Bretonvilliers d’original ainsi qu’il est porté par le dit arrêt. — Fait en notre hôtel le trentième jour de mars mil six cent soixante-cinq. Signé : Daguesseau[1]. »

Le poste militaire que l’on voulait former à Montréal, en raison de la guerre des Iroquois, n’aurait pu se passer d’un hôpital. Où trouverait-on la femme qui voulût se charger de cette lourde tâche ? Parmi celles qui, ayant eu connaissance des missions du Canada, se sentaient appelées à y sacrifier leur vie au service de leurs semblables, il y avait une pieuse fille, de vertus héroïques et d’un courage exceptionnel, toute préparée à ces travaux. Elle se nommait Jeanne Mance, était née, vers 1606, à Nogent-le-Roi, à quatre lieues de Langres, en Champagne, d’une des plus honorables familles du pays ; et, vers l’âge de dix-huit ans, s’était consacrée à Dieu. Sa santé, très faible depuis cette époque, n’enlevait rien à l’énergie de son caractère. Au milieu du mois d’avril 1640, un chanoine de Langres lui fit lire les Relations des jésuites ; elle se prit d’enthousiasme pour l’œuvre de madame de la Peltrie et de la duchesse d’Aiguillon. Nul doute qu’elle ne sût déjà que la Mère de Chomedey et son frère le sieur de Maisonneuve, le sieur de Chavigny et quelques autres Champenois s’occupaient du Canada. Le 30 mai 1640, du consentement de sa famille, elle se rendit de Langres à Paris consulter le père Charles Lalemant, mais n’en reçut aucune réponse encourageante, à cause de l’incertitude où l’on était de voir réussir les négociations avec M. de Lauson. Le père Saint-Jure, recteur du noviciat des jésuites, ne lui donna ni encouragement ni conseil pour le moment ; toutefois, il fut loin de la repousser. « Comme le mérite de mademoiselle Mance était relevé en elle par un air de dignité et de noblesse qui prévenait en sa faveur, des dames de la première qualité désiraient de la voir et de l’interroger sur sa vocation. » C’est ainsi qu’elle fit la connaissance de madame de Villerchavin, et bientôt après de madame de Bullion, veuve, depuis quelques semaines, de Claude de Bullion, surintendant des finances, et que la mort de son mari laissait maîtresse de grands biens. Les dames de la cour s’étonnaient de la résolution de mademoiselle Mance ; elles en parlaient beaucoup entre elles ; la reine Anne d’Autriche voulut voir la future Canadienne, mais l’hiver de 1640-41 était déjà commencé, et rien ne se décidait. Enfin, la compagnie des Cent-Associés accorda (17 décembre 1640) la concession d’une partie de l’île de Montréal, comme on l’a vu. Le R. P. Rapin, provincial des récollets, s’intéressait auprès de madame de Bullion, et celle-ci, après trois ou quatre visites de mademoiselle Mance, se déclara prête à donner les fonds nécessaires à l’établissement d’un hôpital. « Elle mit cinquante ou soixante mille francs à la disposition de la compagnie de Montréal, et cachait avec tant de soin ses largesses aux associés eux-mêmes que la plupart d’entre eux ne savaient pas de quelle main venaient de si riches offrandes. » Le baron de Renty aida de son côté par une assez forte somme. Le printemps de 1641 arriva. MM. de la Dauversière, de Fancamp, de Maisonneuve et le père Jacques Delaplace étaient réunis à la Rochelle, où devait se faire l’embarquement. Mademoiselle Mance se rendit en cette ville. Elle connaissait le père Delaplace pour l’avoir vu à Paris. L’arrivée de cette courageuse femme complétait le personnel de l’expédition[2]. On peut dire que l’idée de M. de la

  1. Édits et Ordonnances, I, 20.
  2. Dollier de Casson : Histoire du Montréal, 20-25, 229-27 ; Faillon : Histoire de la colonie, I, 411, 415.