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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

présence dans les cantons rassurait les flottilles qui allaient en traite dans les établissements français[1].

La compagnie des Cent-Associés comptait parmi ses membres les plus actifs plusieurs commerçants, ceux-là même qui dirigeaient la traite et avaient contracté l’obligation d’aider les jésuites dans leurs travaux apostoliques, mais qui s’écartaient si facilement de ce devoir. On les entendit se plaindre de ce que les religieux traitaient à leur détriment. Dès 1636[2], le père Le Jeune se défendit de cette accusation et protesta que les pères étaient, au contraire, très pauvres. Tout nous indique, en effet, qu’ils vivaient dans les plus grandes privations, à Québec et ailleurs.

Voici les noms des jésuites du Canada, année 1640 : Adam, Buteux, Burgum, Brebeuf, Chastelain, Chaumonot, Daniel, Davost, Delaplace, Dandemare, De Noue, De Quen, François Dupéron, Jos.-Imbert Dupéron, Garnier, Jogues, Charles Lalemant, Jérôme Lalemant, Le Jeune, Le Mercier, Lemoyne, Ménard, Claude Pijart, Pierre Pijart, Poncet, Ragueneau, Rayonbault, Vimont et le frère Cauvet.

Au mois de mai 1640, le père Chaumonot écrivait du pays des Hurons : « Nous sommes ici treize pères, tous français, avec quelques jeunes gens qui[3] se donnent à nous pour le soin du temporel, et qui nous tiennent lieu de frères coadjuteurs. Notre manière de vivre paraîtra en Europe très étrange et très pénible, mais nous la trouvons fort douce et fort agréable. Nous n’avons ni sel, ni huile, ni fruits, ni pain, ni vin excepté celui que nous gardons pour la messe. Toute notre nourriture se compose d’un grand plat de bois rempli d’une espèce de soupe faite au blé-d’Inde écrasé entre deux pierres ou pilé dans un mortier, et assaisonnée avec quelques poissons fumés. Notre lit est de terre, couverte d’une écorce d’arbre ou tout au plus d’une natte. L’étendue de notre mission comprend, cette année, trente-deux bourgs ou villages, dans lesquels il ne reste pas une seule cabane où l’Évangile n’ait été annoncé. Beaucoup de sauvages ont reçu le baptême. La plupart, victimes d’une épidémie qui a ravagé le pays, sont au ciel, nous l’espérons. Cette maladie a été l’occasion de calomnies et de persécutions (de la part des sauvages) excitées contre nous, sous le prétexte que nous étions les auteurs du fléau. Toutefois, aucun de nous n’a péri dans cette tempête, bien que quelques-uns aient été bâtonnés et que d’autres aient vu la hache levée sur eux et bien près de leur tête… Notre lit est formé d’une écorce d’arbre, sur laquelle nous mettons une couverture, épaisse à peu près comme une piastre de Florence. Pour les draps on n’en parle pas, même pour les malades. Mais la plus grande incommodité, c’est la fumée qui, faute de cheminée, remplit toute la cabane et gâte tout ce qu’on voudrait garder. Quand certains vents soufflent, il n’est plus possible d’y tenir, à cause de la douleur que ressentent les yeux. En hiver, nous n’avons pas, la nuit, d’autre lumière que celle du feu de la cabane, qui nous sert pour réciter notre bréviaire, pour étudier la langue et pour toute chose. Le jour, nous nous servons de l’ouver-

  1. Premier Établissement, I, 532, 534.
  2. Relation, pp. 50, 51.
  3. Plusieurs de ces « engagés » ou « donnés » se marièrent ensuite et fondèrent des familles canadiennes.