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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

En même temps, il y eut aux Trois-Rivières des conférences solennelles au sujet de certains prisonniers que les Français voulaient rendre aux Iroquois à condition qu’ils déposeraient les armes. On ne réussit que difficilement à entraîner les Hurons dans ce sentiment. Alors comme autrefois et par la suite, cette nation imprévoyante et fière compromettait ses alliés pour un geste, un mot, un caprice, sans réfléchir à la conséquence de ses actes. Enfin, des délégués furent chargés de visiter les cantons iroquois et de se réunir l’année suivante pour tenter de conclure une paix solide.

L’élan qu’avait pris la Nouvelle-France après 1632 était fort diminué depuis 1640. La fondation de Montréal est regardée avec raison comme une seconde colonie, parce qu’elle fut l’œuvre d’une classe d’hommes qui ne dépendaient nullement des Cent-Associés. Autour de Québec, il se faisait peu de progrès ; de 1640 à 1645, on ne rencontre que la concession du fief de Chavigny (1640) ; et près des Trois-Rivières, le petit fief de l’Arbre-à-la-Croix (5 avril 1644), accordé à Jacques Hertel. La grande compagnie se ruinait, disait-elle ; les seigneurs travaillaient avec un courage exemplaire et menaient la vie du défricheur ; les Iroquois se promenaient en maîtres partout ; les colons regrettaient d’avoir quitté la France. « Quant à l’action du gouvernement, elle était complètement nulle, soit comme action directe, soit comme encouragement ou excitation à des entreprises coloniales ; le commerce continuait chaque année à envoyer deux ou trois navires chercher ses pelleteries ; ces navires apportaient les marchandises nécessaires au Canada, avec quelques engagés, puis c’était tout. Cependant, combien aurait-il été facile à Mazarin, en paix alors avec l’Angleterre, d’engager par quelques sacrifices les armateurs, très entreprenants à cette époque, des ports français à soutenir et fortifier le peuplement de ce pays ! La colonisation ne faisait donc que des progrès insensibles : néanmoins, comme la terre était fertile, le climat très sain, les établissements faciles à cause de l’abondance des bois et la simplicité rustique des immigrants, elle eût encore pris un certain développement, sans les grandes difficultés dont on était toujours entouré par les hostilités et les déprédations des sauvages[1]. »

Dans ces circonstances difficiles, l’esprit qui avait dicté la requête de l’année 1621 se réveilla : les habitants sentirent germer dans leur cœur le patriotisme canadien, par opposition aux idées étroites des compagnies de traite et de tous ceux qui exploitaient le Canada. Les habitants étaient venus de France comptant sur des promesses qui ne se réalisaient pas. Les seigneurs qui les avaient amenés étaient aussi trompés qu’eux-mêmes. Pour établir le pays, ces seigneurs avaient fait choix de jeunes hommes nouvellement mariés et adonnés aux travaux des champs — la meilleure population qu’il fût possible de se procurer, la seule qui fût nécessaire ; mais par la négligence des autorités, ce petit peuple était menacé de périr misérablement. La moindre protection pouvait tout sauver, et bientôt on se serait vus assez nombreux pour exploiter le sol et lui fournir des défenseurs — des Canadiens défendant le Canada. C’était cette pensée fructueuse et si juste qu’il s’agissait, plus que jamais, de mettre en œuvre, bien différente de celle qui présidait alors à la formation des colonies de la

  1. Rameau : La France aux colonies, II, 21.