Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome II, 1882.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
5
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

huguenots ayant la meilleure part du commerce, il était à craindre que le mépris qu’ils faisaient de nos mystères ne retardât beaucoup l’établissement de la foi. Même le mauvais exemple des Français pouvait y être préjudiciable, si ceux qui avaient autorité dans le pays n’y donnaient ordre[1]. »

Effrayé du reproche qu’on leur adressait de ne point remplir les obligations consenties touchant l’envoi de cultivateurs, les associés signèrent (21 décembre 1618) un « État des personnes qui doivent être menées et entretenues en l’habitation de Québec, pour l’année 1619. » Il y aura, dit cet acte, quatre-vingts individus, y compris : le chef, trois Pères Récollets, commis, officiers, ouvriers et laboureurs ; le linge, la literie, les instruments d’agriculture, les armes, les animaux, les grains de semence sont énumérés[2]. Ces promesses ne furent point remplies, et, en voyant qu’on voulait le duper par un simple écrit de cette nature, Champlain ne quitta point la France au printemps de 1619, comme il en avait l’intention. Boyer, l’inspirateur de la plupart de ces délais, partit pour Québec, amenant des familles, cette même année.

Le 20 octobre (1619), le prince de Condé recouvra sa liberté et se fit donner mille écus par les marchands. Aussitôt, il vendit au duc de Montmorency[3] la charge de vice-roi de la Nouvelle-France, moyennant onze mille écus, et en versa cinq cents aux Récollets pour les aider à construire un couvent à Québec. Champlain, qui avait été lieutenant du maréchal de Thémines, devint celui du duc de Montmorency. M. Dolu, grand-audiencier de France, fut nommé intendant de la colonie ; il était favorable à Champlain.

Montmorency, qui devait si mal finir sous la hache de Richelieu, n’était pas homme à jeter de l’éclat sur une entreprise aussi peu pompeuse que celle de la fondation de Québec. Fier des exploits de son père, Anne de Montmorency, et filleul du roi Henri IV, il tenait à profiter de cette double veine et à se maintenir dans les honneurs. Il brillait parmi la jeunesse dorée du temps. C’est de lui que Bassompierre s’est moqué, un soir que Montmorency venait de danser. Le beau seigneur trouva fort impertinent ce Bassompierre qui ne le complimentait pas.

— Il est certain, dit Bassompierre, que si je n’ai pas autant d’esprit que vous aux jarrets, en revanche j’en ai plus ailleurs.

— Eh ! eh ! reprit le duc, si je n’ai pas aussi bon bec que vous, je crois que j’ai aussi bonne épée !

— Certainement ! exclama Bassompierre, vous avez celle du grand Anne.

La situation de Québec, de 1617 à 1620, se résume en peu de lignes ; on n’y voit qu’un fait important. Deux Français, l’un nommé Charles Pillet, matelot, de l’île de Ré, et l’autre appelé Serrurier, avaient été tués par les Sauvages, au cap Tourmente, l’année 1616. Lorsque ce double meurtre fut découvert, on comprit que les Sauvages, dont l’attitude

  1. Premier Établissement, I, p. 97.
  2. Cette pièce est signée : « Pierre Dugua (c’est le sieur de Monts), Le Gendre, tant pour lui que pour les Vermulles, Bellois et M. Dustrelot. »
  3. Henri de Montmorency, né 1595, amiral à dix-sept ans ; maréchal de France en 1629.