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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Ils accomplissaient plutôt un acte de vigueur et de patriotisme. Qu’ils aient signalé le mal résultant des deux croyances religieuses aux prises sur ce coin de terre, c’est fort bien ; qu’ils aient demandé l’expulsion des calvinistes, c’est la preuve d’un esprit pratique, car l’établissement du pays était de plus en plus compromis au milieu des dissensions que nos lecteurs connaissent et que nous nous sommes fait un devoir d’exposer à mesure qu’elles se produisaient, afin d’en finir avec cette accusation d’intolérance dont certains historiens font le « clou » de leurs beaux chapitres lorsqu’ils parlent des origines de notre peuple. Il est aisé à qui que ce soit de détacher une phrase d’un document public et de broder là-dessus une thèse à sensation, mais autre chose est d’expliquer comment cette phrase avait, en son temps, sa raison d’être ! On a bien exhumé aussi les commissions de Jacques Cartier, du marquis de la Roche, etc., pour attester que les premiers Canadiens furent des criminels : pourra-t-on réfuter ce que nous avons fait voir à cet égard dans notre premier volume ? Il en est de même de l’affaire des huguenots : examinée pièces en main, elle ne résiste point à l’analyse. Les tiraillements causés par la différence de religion constituaient le principal obstacle aux progrès de la jeune colonie, et, puisque l’on vivait au lendemain d’une époque où des troubles de ce genre avaient mis dix fois le royaume aux bords de l’abîme, il était prudent et sage de les écarter à la première rencontre favorable. Croit-on, par exemple, que les deux de Caen se pouvaient prétendre meilleurs patriotes que Champlain ? Étaient-ils aussi dévoués aux intérêts du Canada que l’était le glorieux fondateur de Québec ? Ne voit-on pas, au contraire, que ces marchands huguenots témoignaient à l’égard des Religieux qui voulaient convertir les Sauvages, et aux hommes qui cherchaient à s’établir dans le pays, non pas seulement l’indifférence déjà si déplorable des marchands catholiques, mais une véritable opposition[1] ? De quel droit donc ces spéculateurs seraient-ils tant respectés, et quel blâme osera-t-on jeter à la figure des habitants qui avaient le courage de signaler le mal et d’en demander la suppression ?

Ce même automne (1621), on renvoya en France « deux ménages qui, depuis deux ans, n’avaient pas déserté deux vergées de terre, ne faisant que se donner du bon temps à chasser, pêcher, dormir et s’enivrer avec ceux qui leur en dormaient le moyen. Je fis visiter ce qu’ils avaient fait, ajoute Champlain, où il ne se trouva rien de déserté, sinon quelques arbres coupés, demeurant avec le tronc et leurs racines : c’est pourquoi je les renvoyai comme gens de néant, qui dépensaient plus qu’ils ne valaient. C’étaient des familles envoyées, à ce que l’on m’avait dit, de la part du dit Boyer[2] en ces lieux, au lieu d’y envoyer des gens laborieux et de travail, non des bouchers et faiseurs d’aiguilles, comme étaient ces hommes qui s’en retournèrent. »

Le 26 août (1621), Guillemette, seconde fille de Louis Hébert, épousa[3] Guillaume Couillard, « dont la postérité est devenue si nombreuse au Canada qu’on en compte actuelle-

  1. Ils allaient plus loin. Contre l’avis, les instances et les ordres de Champlain et du roi, ils vendaient des armes à feu aux Sauvages.
  2. Il a été parlé de lui ailleurs.
  3. Le mariage fut célébré par le Père le Baillif. Champlain était présent.