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histoire des canadiens-français

Combien y en a-t-il parmi les étrangers qui s’exclament sur les incommodités de nos hivers et qui aient réfléchi aux inconvénients des climats chauds où ils vivent eux-mêmes ?

Inutile d’invoquer ici la science. Prenons les faits tels qu’ils sont. Notre pays est l’un des plus sains, sinon le plus sain qui existe au monde.

Mais cette affreuse neige ! Ce froid à tout casser ! !

Que de bons amis se sont apitoyés sur notre sort, et en sont à jamais inconsolables ! « La vie doit être longue à passer au sein de ces sombres retraites ; et en effet, comment peut-on être porté à s’épanouir au milieu d’une terre ingrate, qui, à peine échauffée d’un rayon d’août, reprend en octobre son manteau de glace, et élève entre chaque habitant une barrière de neige ? » C’est M. Pavie qui signe.

Répondons-lui que rien n’est court comme les moments où l’on s’amuse. La saison des neiges étant l’époque du plaisir par excellence, il faut s’écrier avec le poète canadien :

Que tout l’automne et tout l’hiver on fête !

Syllogisme : Quand on fête on s’amuse ; quand on s’amuse, on ne trouve pas le temps long ; quand on ne trouve pas le temps long, la vie n’est pas longue.

Et puis le soleil qui n’apparaît qu’au mois d’août ! Croirait-on, en lisant cela, qu’il s’agit d’une contrée où cet astre brille avec majesté durant onze mois sur douze ? C’est à peine si, en novembre, quelques jours ternes nous sont donnés. L’été nous amène des chaleurs très fortes, un soleil qui mûrit vite le grain, qui gonflerait aussi la vigne ; mais si l’ardeur des rayons faiblit en octobre, il n’en est pas moins vrai que de décembre à mai ils gardent leur beauté.

Nos jours de nuages, nos jours de pluie vont par couple, et non pas par douzaine. Après quarante heures sombres, le soleil reparaît radieux pendant dix ou quinze jours, et quelquefois plus longtemps. En hiver, sur la neige, son éclat est incomparable. Traversez les rues de nos villes ou les campagnes en janvier : l’horizon pur, bleu, immense s’étend devant vos regards. Il n’est pas de jour plus clair. L’auteur que nous venons de citer a confondu cette splendeur avec les zig-zags des lumières polaires. C’est un savant qui porte des lunettes jaunes.

Allons toujours dans la voie des citations : « En hiver, le Saint-Laurent, malgré les rapides et l’impétuosité de son courant, ne présente plus qu’un vaste miroir sur lequel voyagent des bandes de cariboux, d’orignals et de lièvres blancs qui se répandent ensuite dans les États de Vermont et de New-Hampshire ; toute communication est interrompue entre les habitants. Toutes ces plaines de verdure, ces champs de moissons dorées que nous voyions autour de nous, ne sont alors qu’un vaste désert couvert de neige, qu’éclaire faiblement le soleil, et où étincelle la lune pendant les longues nuits d’hiver. Au milieu de cette nature triste et désolée, l’Indien voyage sans bruit, tout enveloppé dans les peaux de cariboux, les jambes couvertes de bottes de renard, le poil en dedans ; avec ses longues raquettes aux pieds, et des gants de peau d’ours qui garantissent à peine ses mains d’un froid