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quelles, règle générale, sont infiniment supérieures à celles des paysans d’Europe, et pour le moins aussi accessibles — l’hospitalité aidant — l’hiver que l’été.

Restons dans la neige, cette affreuse neige et ce froid à tout casser ! « Devant chaque maison canadienne, écrit un monsieur de la presse, il y a un porche assez semblable au stoop des Américains sous lequel se réfugie le voyageur errant au milieu des neiges de l’hiver, en attendant qu’une main hospitalière lui ouvre la porte et l’invite à prendre place autour de son feu ; il est toujours le bienvenu ; et qu’importe au Canadien un homme de plus, quand cet isolement dans lequel le plonge la nature sévère de son pays lui fait sentir le besoin de la société ! » Le stoop ou « tambour » n’est pas là pour recueillir les passants. Il sert, aux personnes qui entrent, de lieu où l’on secoue la neige de ses habits, avant de pénétrer dans l’intérieur ; il sert aussi à empêcher que les portes de nos maisons de campagne ne s’ouvrent directement sur la route, c’est-à-dire en plein froid. Quant aux voyageurs, jamais ils ne font antichambre dans cette espèce de guérite : on les reçoit plus vite qu’ils ne peuvent entrer ; ils n’ont pas enlevé leur pardessus que le verre d’eau-de-vie est déjà sur la table à leur côté. Le Canadien a ses traditions. Nous avons lu plus de cinquante auteurs qui répètent que l’hospitalité des Canadiens est une affaire de cœur, quelque chose de surprenant en ce siècle de calculs plus froids que nos hivers. Néanmoins, ceci est trop beau pour être porté tout entier à notre crédit ; aussi a-t-on découvert que l’isolement dans lequel nous plonge la nature sévère du pays nous fait sentir le besoin de la société. Une jolie société que celle qui nous traite si savamment une fois retournée chez elle !

Que dire de cet officier de l’armée britannique, transi de froid et couvert de givre, qui ne cesse de se lamenter sur la rigueur de nos hivers ? Il a inventé un conte bien propre à persuader ses admirateurs des bords de la Tamise. « N’est-ce pas pitoyable, s’écrie-t-il, que la terre gèle si profondément qu’il devient impossible d’inhumer les morts ! Chaque famille garde les siens chez elle, dans un appartement affecté à cet usage, d’où on les tire au printemps lorsque le fossoyeur reconnaît que le sol est devenu praticable ! »

De la Nouvelle-Orléans à Québec, un touriste nous raconte ses impressions. Reste à savoir si tout son livre n’a pas été écrit à Paris par quelqu’un qui n’a jamais dépassé les abords de Versailles : « Des voyageurs espagnols qui faisaient route avec nous, dit-il, rebroussèrent chemin à Montréal, habitués qu’ils étaient à une végétation équatoriale ; ils reculèrent devant les roches gigantesques et les cimes chauves des montagnes, et si je n’eusse été Français, je ne sais pas même si j’aurais guidé mes pas errants au-delà de l’Ontario… » Ceci, d’après la date de la lettre qui nous le raconte, avait lieu en plein été, alors que le soleil darde ses plus chauds rayons sur nos terres couvertes de moissons jaunissantes. Le spectacle qu’offrent en ce moment les rives du grand fleuve, de Kingston à Montréal, est ravissant. La végétation équatoriale est différente, mais pas plus belle. Ces pauvres Espagnols étaient-ils tout à fait dans leur assiette, lorsqu’ils voyaient des montagnes et des rochers gigantesques au milieu d’un pays aussi plat et aussi cultivé que la Beauce de France ?

Cette affreuse neige ; ce froid à tout casser ! N’avons-nous pas lu le récit du malheur