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Ainsi, après soixante ans d’existence au Canada, la race française se ressentait déjà considérablement de l’heureuse influence du pays.

Un peu plus tard, vers l’époque de la conquête, Bougainville observe que nous surpassons de beaucoup nos ancêtres dans les exercices fatigants et dans les longs voyages.

Depuis lors, les Anglais et les Américains ont toujours préféré nos voyageurs à ceux des autres nationalités. Les explorateurs, comme Carver, Franchère, Simpson, Franklin, n’ont confié leur sort qu’à nos compatriotes, pour des entreprises qui, aujourd’hui encore, effraient l’imagination. Au moment où nous écrivons, le Canadian Illustrated News proclame la nécessité de recourir à l’aide des Canadiens-français, si l’on persiste à vouloir atteindre le pôle nord. Ce journal constate, avec tous ceux qui ont lu les récits d’expéditions de ce genre, que les Européens faiblissent régulièrement à un point nommé du voyage où nos gens commenceraient à peine à trouver le temps dur, suivant leur expression. De pareils témoignages, venant de ceux qui nous connaissent, valent mieux que les théories conçues à quinze cents lieues de nous.

Tant que l’on ne nous transportera pas à la Havane, sous la ligne, dans les pays où fleurit l’oranger, les créoles créolisant seront inconnus parmi nous.

Écoutons M. Ferland : « Se formant sous un climat sain quoique rigoureux, menant une vie frugale, éprouvée par les travaux de la terre, par les fatigues des voyages, par les dangers de la guerre, la population du Canada se développait forte et vigoureuse. Les constitutions affaiblies succombaient sous ces rudes épreuves, tandis que les individus à tempérament robuste résistaient, et devenaient les fondateurs de races acclimatées et vivaces. »

Charlevoix dit : « Tout est ici de belle taille et le plus beau sang du monde, dans les deux sexes. » Cent ans plus tard, M. Pavie parle tout autrement : « Un long séjour en Amérique, dit-il, a fait perdre au créole canadien les vives couleurs de sa carnation. Son teint a pris une nuance d’un gris foncé. Ses cheveux noirs tombent à plat sur ses tempes, comme ceux de l’Indien. Nous ne reconnaissons plus en lui le type européen, encore moins la race gauloise. »

Et tout ce déploiement d’imagination est fait pour soutenir une théorie, à savoir : que l’Européen transplanté en Amérique doit nécessairement produire des sauvages !

Grande dispute au-delà de l’Atlantique, à notre sujet. Les uns ne voient en nous que des métis ; les autres nous classent encore parmi les blancs, mais à condition qu’on leur permettra de dire que nous sommes dégénérés et que la race s’éteint ; une troisième école prétend que les Anglais ont seuls le privilège de subsister et de multiplier dans les colonies.

Pendant que la science nous étudie, rien ne nous empêche de continuer à vivre et à jouir de la constitution physique dont le ciel nous a si libéralement doués.

Charlevoix, qui a si mal compris certaines choses qu’il n’a pas vues, mais dont l’esprit observateur a saisi ce qui se passait sous ses yeux, écrivait en 1720 : « On ne voit point en ce pays de personnes riches, et c’est bien dommage, car on y aime à se faire honneur de son bien, et personne presque ne s’amuse à thésauriser. On fait bonne chère, si avec cela on peut