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histoire des canadiens-français

n’est pas un seul groupe d’habitations qui soit assez isolé pour que les habitants fassent bande à part. Aussi, arrive-t-il que les habitants d’une paroisse, d’un comté tout entier et jusqu’à de grandes distances au-delà, se connaissent presque tous, se visitent et se fréquentent constamment. Ces relations s’étendent aussi par des alliances formées au loin. Le Canadien va très souvent chercher une épouse au-delà de sa paroisse, et établir l’intimité entre sa famille et celle dans laquelle il entre ; les liens se resserrent ainsi entre les habitants de parties les plus lointaines du pays, des communications fréquentes ont lieu entre eux, et ils ne peuvent jamais devenir étrangers les uns des autres. À cette disposition des habitations en ligne continuelle d’un bout à l’autre du pays, et à la facilité des communications qui en est la conséquence, ainsi que je viens de le dire, est dû un avantage plus précieux encore, et qui est le complément de tous les autres. Je veux parler de cette uniformité de mœurs, d’habitudes et de langage qui s’est établie et se maintient dans tout le pays ; uniformité si grande qu’elle fait l’admiration de tous les voyageurs qui l’ont parcouru. Le Canadien de Gaspé est le même que celui des bords de l’Outaouais, celui de Beauharnois le même que le montagnard du Saguenay. Et cette uniformité dans les mœurs, les habitudes et le langage qui n’est que le résultat de la distribution des établissements suivant les exigences du terrain et du climat, est d’autant plus admirable qu’elle entraîne cette uniformité de sentiment et de pensée, qui fait de tous les Canadiens pour ainsi dire un seul homme. C’est un peuple qui semble n’avoir qu’un même cœur et qu’un même esprit, et c’est là le plus beau trait dont il puisse s’enorgueillir. C’est à la fois sa vertu et sa force et sa sauvegarde, c’est là le principal avantage que nous retirons de cet ordre admirable ; il en est un autre, messieurs, qui répand le charme sur notre existence de tous les jours, qui fait des Canadiens de la campagne un peuple poli, un peuple bien élevé : c’est celui de voir la femme mêlée en tous temps à la société des hommes, de la voir dirigeant la conversation, répandant la douceur et l’aménité dans nos mœurs ; et cela encore est dû à ces relations de voisinage, à cette facilité de communications qui permet à chaque Canadien de pénétrer dans la famille de son voisin ; à sa femme, à sa fille, d’y rencontrer la femme et la fille de son voisin, et de s’inspirer tous ensemble de leur douceur, de leur grâce et de leur beauté, et de réfléchir ces impressions si tendres dans tous les faits de la vie… Et c’est un hommage que nous devons aux fondateurs du Canada civilisé, de reconnaître la justesse de leur coup d’œil et la grandeur de leurs vues en découvrant des terres nouvelles et en se conformant aux exigences de la nature, dès le début des premiers établissements qu’ils ont formés. Leurs pensées d’ordre, qu’ils ont établies d’accord avec la nature, ont dominé presque sans modification jusqu’aujourd’hui. »

Si, pour compléter ce tableau, on joint aux qualités sociales des Canadiens-français le goût du plaisir qu’ils tiennent de la France, la prodigalité qui est comme l’essence de ce continent, la richesse du sol qui fournit toujours plus que le nécessaire, l’indépendance de fortune qui est le résultat d’ensemble de cette situation, et la vie heureuse qu’elle représente, on comprendra le mot d’un homme public, un Anglais, M. Stuart, disant : « Le Canadien-français est un peuple gentilhomme. »