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vous répondront que la soupe est un aliment pernicieux pour la santé. Si vous parcourez nos camps, au contraire, si vous interrogez le peuple de nos villes et de nos campagnes, vous entendez dire que la soupe nourrit l’homme, que la soupe nourrit le soldat. À la vérité, celle du soldat ou du paysan étant composée de pain trempé avec beaucoup de racines et d’herbes potagères, parce que c’est presque le seul aliment auquel ils sont réduits, elle doit être nourrissante ; et, considéré ainsi, le proverbe français ne prouverait rien en faveur de la soupe. Néanmoins, je suis persuadé qu’il indique un préjugé favorable sur cette sorte de mets ; et ce préjugé, je le fonde sur ce que cet aliment remonte jusqu’aux temps les plus reculés de notre histoire… Mais de tous les potages, celui qui a eu le plus de faveur, et qui l’a conservée le plus longtemps, est le potage au riz. Il en est mention dans nos anciens fabliers et romanciers. Par les statuts de la réforme de Saint-Claude (an 1448), ce mets est accordé en carême aux religieux trois fois la semaine. Au seizième siècle, c’était, selon Champier et Beaujeu, le potage de distinction ; point de festin, même dans la classe des paysans, où on ne le servît. » Les hôtels et les restaurants du monde entier servent à leurs pratiques et aux voyageurs une sorte de bouillon épicé qui porte par contrebande le nom de soupe : c’est un plat en usage dans nos provinces anglaises. Il n’a qu’un rapport très éloigné avec la soupe canadienne. Celle-ci exige beaucoup de viande ; on la fait « riche », bien riche, et c’est tout dire. Les légumes y abondent. Le choux, le riz, le lard y figurent copieusement. Il faut avoir un rude appétit pour attaquer après cela tout un dîner ; mais il ne manque pas ici de gens qui le font avec succès. Ah ! nous sommes des mangeurs ! La soupe aux pois ou aux fèves ferait, à elle seule, la réputation de la cuisine canadienne.

Terminons ce chapitre par quelques notes touchant certaines coutumes de la première moitié du dix-septième siècle.

Les taillandiers faisaient des outils et des instruments tranchants, des forces pour les tondeurs, des faux, des haches, des cognées, serpes, rabots, ciseaux, etc. ; on appelait aussi de ce nom les ouvriers en ferblanc. Le nombre de ces artisans était très grand au Canada, de 1635 à 1665.

« Ceux de la forge, dit le Journal des Jésuites (1645), vinrent demander le vin de la Saint-Éloi. » C’était l’habitude des forgerons de chômer la fête de saint Éloi, leur patron. On voit, par les registres et les cahiers de délibérations des paroisses, que ces fêtes dégénérèrent à la longue en désordres publics. Vers 1740, les autorités ecclésiastiques formulèrent des défenses vigoureuses contre cette coutume, qui disparut peu après la domination française.

Les visites, les cadeaux et les réjouissances du Jour de l’An ne datent pas seulement en France de la réforme du calendrier grégorien (1582), qui reporta le commencement de l’année au premier janvier ; car l’ancienne pratique gauloise de fêter ce jour était conservée par le peuple. Les Allemands et les Anglais ont persisté à chômer le jour de Noël. Au Canada, nos Normands se souhaitaient « la bonne année » du temps de Champlain, comme aujourd’hui. Le Journal des Jésuites (1645-1668) note les aubades, les compliments, les présents qu’on se faisait — il ne dit pas un mot, cependant, de la guignolée.