Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome III, 1882.djvu/154

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
138
histoire des canadiens-français

Ces derniers avaient-ils les moyens de faire vivre des curés ? Oui, pour deux raisons : 1o le seul fait de demander des prêtres montre qu’ils voulaient et pouvaient les soutenir ; 2o ils donnaient aux jésuites plus de secours qu’il en eût fallu à des curés.

Quels étaient ces secours ? La compagnie des Cent-Associés, puis ensuite celle des Habitants, avaient entre leurs mains le monopole de la traite, c’est-à-dire du commerce du Canada, à charge de payer pour l’entretien de la colonie une somme annuelle évaluée au quart du trafic. En conséquence, les marchandises étaient tarifées de manière à acquitter cet impôt et à laisser encore à la compagnie un certain bénéfice. L’Habitant contribuait ainsi au paiement des dépenses publiques. Or, au nombre de ces dépenses, il y avait les missions des jésuites — des missions chez les sauvages, qui se trouvaient en partie aux charges d’une poignée de colons ! Les lettres des jésuites sont remplies de doléances sur le misérable état du commerce qui prive le pays des ressources nécessaires au soutien des missions. C’est à croire, vraiment, que le pays (le Canadien) n’existait que pour satisfaire aux besoins des missionnaires !

La France, ou plutôt ceux qui parlaient et agissaient en son nom depuis Cartier, prétendaient s’imposer la tâche de convertir les sauvages. Fort bien ; mais devaient-ils taxer pour cet objet de pauvres défricheurs qui n’avaient que faire des obligations contractées par les jésuites et ceux qui les protégeaient ? Nous n’irons pas jusqu’à croire que les protecteurs en question oubliaient leurs promesses ; car sans cela on n’eût pas compté, en 1640, soixante personnes au moins dans le cercle des jésuites, à côté d’une population française fixe de deux cent soixante et quinze âmes ; mais rappelons-nous que les soixante et quatre chefs de famille ou habitants contribuaient leur large part des frais des missions — chose injuste, toute aussi injuste que le monopole de la traite dont on accablait ces courageux pionniers.

L’une des clauses du règlement de 1648 pourvoyait à l’entretien d’une compagnie de volontaires qu’on enverrait (elle y alla) protéger les missions huronnes. Ce zèle nous attira la guerre avec un redoublement de férocité de la part des Iroquois. À ne lire que les Relations des jésuites, on se persuade aisément que les Habitants avaient pour principal devoir de prêter main-forte aux missionnaires et de payer le plus qu’ils pourraient de ces sortes de dépenses ! Il existe des milliers de lecteurs qui le croient !

En 1650, les Habitants ne dépassaient guère six cents âmes ; le pays renfermait une quarantaine de pères jésuites, assistés de trente ou quarante frères, donnés, domestiques, etc.

Nous ne blâmons pas les personnes charitables de France qui faisaient des sacrifices d’argent pour le bien des missions. Ce qu’il eût fallu ne pas faire eût été de ne mêler en rien la cause des Habitants avec celle de ces pères. Il y avait en évidence deux objets : la conversion des indigènes et l’établissement de colons français ; pourquoi avoir abandonné l’un et l’autre au contrôle des jésuites, qui eurent grand soin de rejeter dans l’ombre les cultivateurs, la vraie sève du pays, et qui étouffèrent, pendant plus de trente ans, les plaintes de cette population ?

L’histoire du Canada a été écrite par trois classes d’hommes : les Français, qui n’ont