Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome III, 1882.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
35
histoire des canadiens-français

gens de guerre qui sont et pourront être ci-après en quelqu’endroit que ce soit, que tous nos officiers, ministres et sujets d’icelui ; juger de tous les différends qui pourront naître entr’eux, faire punir les délinquans, et même exécuter à mort, si le cas échet, le tout souverainement et sans appel ; leur ordonner tout ce qu’il verra et connaîtra être nécessaire pour notre service et le bien de nos affaires, et la garde et conservation du dit pays en notre obéissance ; et ce aux mêmes droits et honneurs et prérogative que les précédens gouverneurs, pendant les dites trois années[1]. »

La compagnie de la Nouvelle-France ayant droit de haute, moyenne et basse justice, elle songea, probablement à l’instigation de M. de Lauson, à mettre les tribunaux du Canada sur un pied plus solennel. Par un acte[2] du 13 mars (1651), on voit que un grand-sénéchal avait été nommé pour tout le pays ; c’était Jean de Lauson, fils aîné du nouveau gouverneur, un enfant, qui avait commencé à servir dans l’armée ; comme il était impossible de prendre au sérieux un pareil juge en chef, il fallut nommer un homme rompu au métier à qui l’on confiât les fonctions de lieutenant-général civil et criminel : il se nommait Nicolas Le Vieux, écuyer, sieur de Hauteville ; son tribunal devait être fixé à Québec ; des lieutenants particuliers pour les causes en première instance devaient être nommés aux Trois-Rivières et à Montréal. Les appels venaient devant le gouverneur-général, qui avait pouvoir de juger en dernier ressort. Ainsi donc, la charge du grand-sénéchal n’était qu’un titre honorifique ; la justice était administrée au nom d’un homme de paille, par des officiers compétents, auxquels on adjoignit, dans chaque centre, un procureur fiscal, remplissant, devant les magistrats ou juges de seigneuries, les fonctions de procureur-général dans les cours du roi.

Voilà où en étaient les Habitants, après une lutte de quinze années : ils subissaient de plus en plus la loi des influences, et, au moment où M. de Lauson, qui personnifiait le génie de la spéculation et le manque de bonne foi des Cent-Associés, devenait gouverneur-général, son ancienne alliance avec les jésuites mettait virtuellement le Canada sous la main de ces derniers ; car nous savons avec quelle adresse ce corps religieux s’introduit dans les gouvernements et les mène.

Jusqu’à 1650, les jésuites avaient tenté principalement la conversion des sauvages. Malheureusement, ils n’y avaient pas réussi ; cette entreprise généreuse nous paraît avoir été chose impossible, étant donné le caractère des races huronne et algonquine. Par surcroît, la mauvaise administration des Cent-Associés (qui ne visaient qu’aux bénéfices de la traite) et les conseils des jésuites (qui faisaient porter les secours vers les missions sauvages) augmentèrent les difficultés. Il eût fallu s’en tenir à la politique de Champlain : former une colonie solide de sujets français et catholiques, et après cela tenter la conversion des indigènes.

Les calculs erronés ayant produit les catastrophes que l’on sait, les missionnaires redevinrent hommes d’État : ils dirigèrent leurs forces du côté du gouvernement de la colonie. M. de Lauson était désigné par la nature même des services qu’il avait rendus à ces religieux,

  1. Édits et Ordonnances, III, 16.
  2. Titres seigneuriaux, 51.