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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

a été que les habitants ont fondé leurs habitations où il leur a plu[1] et sans se précautionner de les joindre les unes aux autres, et faire leurs défrichements de proche en proche pour s’entre secourir[2]. Ainsi, ces habitations, étant séparées de côté et d’autres, se sont trouvées exposées aux embûches des Iroquois. Pour cette raison, le roi fit rendre, il y a deux ans, un arrêt du Conseil par lequel il fut ordonné que, dorénavant, il ne serait plus fait de défrichements que de proche en proche, et que l’on réduirait nos habitations en la forme de nos paroisses et de nos bourgs, autant qu’il sera dans la possibilité, lequel, néanmoins, est demeuré sans effets sur ce que, pour réduire les habitants dans des corps de villages[3], il faudrait les assujettir à faire de nouveaux défrichements et abandonnant les leurs. Toutefois, comme c’est un mal[4] auquel il faut trouver quelque remède pour garantir les sujets du roi des incursions des sauvages qui ne sont pas dans leur alliance, Sa Majesté laisse à la prudence du sieur Talon d’aviser avec le sieur de Courcelles, et les officiers du conseil souverain de Québec à tout ce qui sera praticable pour parvenir à un bien si nécessaire. »

Charlevoix commente ce passage des instructions royales : « Il y avait sans doute, dit-il, de l’inconvénient à s’établir ainsi dans des lieux si éloignés les uns des autres, que les habitants ne fussent pas à portée de se porter secours en cas d’attaque ; mais il paraît que le plus court moyen pour y remédier était de bien fortifier la tête du pays[5] contre les ennemis présens, et contre ceux qu’il était facile de prévoir qu’on aurait tôt ou tard sur les bras. Le règlement dont parle ici M. Colbert a été renouvellé plus d’une fois mais toujours inutilement. L’intérêt, plus puissant que la crainte[6], a souvent porté les particuliers à se placer dans les endroits les plus exposés, où la facilité de la traite[7] leur ôtait la vue du péril, et les plus fâcheuses expériences n’ont pu les rendre sages[8]. »

Talon écrivait, le 4 octobre 1665 : « Je prépare un plan pour la création du premier village. Aussitôt qu’il sera terminé, je vous en enverrai le dessein… On devrait toujours se préparer en bonne saison pour envoyer ici des familles l’année suivante. Je puis assurer que leurs établissements seront ici tout préparés ; et, si le roi veut en envoyer un plus grand nombre la prochaine fois que les quarante pour lesquels vous m’avez avisé de faire des préparatifs cette année, je me tiendrai en mesure de les recevoir. »

Après avoir parlé du blé que produit le Canada, la mère de l’Incarnation écrivait, au mois d’octobre 1665 : « Cette abondance néanmoins n’empêche pas qu’il y ait ici un grand nombre de pauvres ; et la raison est que, quand une famille commence une habitation, il lui faut deux ou trois années avant que d’avoir de quoi se nourrir, sans parler du vêtement, des meubles et d’une infinité de petites choses nécessaires à l’entretien d’une maison ; mais ces

  1. Il leur plaisait de prendre de bonnes terres.
  2. Depuis trente ans, on leur promettait toujours de les mettre hors de danger en repoussant les Iroquois.
  3. Parce que la chose existait en Europe, on s’imaginait qu’il fallait la reproduire en Amérique !
  4. Loin d’être un mal, c’était une sage pratique.
  5. Mais oui ! Les habitants le demandaient depuis trente ans. Les Cent-Associés s’y étaient obligés ; ils n’avaient rien fait.
  6. À qui la faute si la crainte existait ?
  7. Ceci est faux. Nos premières paroisses n’ont pas été des postes de traite, sauf les Trois-Rivières.
  8. Pour être sage, il eut fallu se réfugier dans des villages fortifiés et y crever de faim ! Singulière façon de fonder une colonie !