Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome IV, 1882.djvu/132

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
119
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Les années 1668, 1669 donnèrent environ quatre cents émigrants. C’est là, croyons-nous, le groupe le plus nombreux qui soit venu se fixer au Canada. Colbert écrivait, le 15 mai 1669 : « Sa Majesté envoie cent cinquante filles pour être mariées, six compagnies de cinquante hommes chacune (du régiment de Carignan), et plus de trente officiers ou gentilshommes, tous pour s’établir, et plus de deux cents autres personnes y vont aussi dans ce but. » Les capitaines reçurent chacun mille livres en argent.

Les cadres du régiment de Carignan étaient donc retournés en France. Vers 1700, ce corps prit le nom de régiment du Perche. On le voit servir en 1780, à peu près, dans la guerre de l’indépendance des États-Unis.

Après le départ de M. de Tracy (1667), la meilleure partie du régiment de Carignan demeura au Canada ou y revint après avoir accompagné le vice-roi en France. « Presque tous les soldats, dit Charlevoix, s’y étaient faits habitants, ayant eu leur congé à cette condition… Plusieurs de leurs officiers avaient obtenu des terres avec tous les droits de seigneurs : ils s’établirent presque tous dans le pays, s’y marièrent, et leur postérité y subsiste encore. La plupart étaient gentilshommes ; aussi la Nouvelle-France a-t-elle plus de noblesse ancienne qu’aucune autre de nos colonies, et peut-être que toutes les autres ensemble. Enfin, partout où l’on faisait des défrichements, le terrain se trouvait bon ; et comme les nouveaux habitants se piquèrent d’émulation pour égaler la vertu, l’industrie et l’amour du travail des anciens, tous furent bientôt en état de subsister, et la colonie en se multipliant n’eut pas le chagrin de voir altérer sa religion et ses mœurs. »

Colbert écrivait à Mgr de Harley, archevêque de Rouen, le 27 février 1670 : « Comme il pourrait s’en rencontrer (des filles robustes) dans les paroisses, aux environs de Rouen, le nombre de cinquante ou soixante qui seraient bien aises de passer au Canada pour être mariées et s’y établir, et que d’ailleurs vous avez toujours eu beaucoup de zèle pour l’augmentation de cette colonie, j’ai cru que vous trouveriez bon que je vous suppliasse, comme je le fais par cette lettre, d’employer l’autorité et le crédit que vous avez sur les curés de trente ou quarante de ces paroisses, pour voir s’ils pourraient trouver en chacune une ou deux filles disposées à passer volontairement en Canada. »

Un projet avait été soumis pour marier des sauvagesses avec des Français ; mais sur un rapport de Talon, il fut abandonné. Le métissage n’a jamais été bien vu parmi les Canadiens, et si l’on en excepte le Nord-Ouest, où les femmes de race blanche manquaient absolument, il ne présente que des cas de rares exceptions.

Au nombre des moyens qu’employa Louis XIV pour relever la France, il faut noter son édit sur les mariages. Le voici en substance. Il est du mois de novembre 1666 : « Cette mesure, favorable surtout aux campagnes, avait pour but d’encourager la population et de fournir ainsi les bras au travail… Tout garçon, dit l’édit, qui se mariera avant vingt ans, ne payera pas de taille avant vingt-cinq ans accomplis ; au contraire, payera la taille tout garçon non-marié dans l’âge de vingt ans. Tout père de famille qui aura dix enfants, ni prêtres, ni religieuses, sera exempt de collecte, curatelle, guet et garde. Celui qui en aura douze sera exempt de la taille[1]. »

  1. Gaillardin : Histoire du règne de Louis XIV, III, 448-9.