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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Parlant des récollets missionnaires mentionnés ci-dessus, M. Rameau dit : « Ces moines reprenaient ainsi çà et là l’œuvre interrompue des compagnons de Poutrincourt et des pères jésuites de 1612, dans l’apostolat des indigènes ; mais ils eurent aussi cette utilité, de tenir rattachés à la civilisation européenne les Français dispersés dans ces solitudes ; ils purent aussi régulariser à diverses reprises quelques-unes des unions grossières contractées entre les Français et les squaws ; plusieurs des compagnons de Biencourt et de Latour avaient eu en effet des enfants dans ce libertinage ; Latour lui-même devint ainsi vers 1626 le père d’une fille nommée Jeanne, et son mariage fut un de ceux que consacrèrent les récollets, car il paraît par un acte authentique que Jeanne de Latour fut légitimée. Il se constitua donc ainsi quelques rudiments de familles métisses, qui apportèrent plus tard un certain contingent d’utilité lors de l’établissement des premières familles européennes ; il eût même été à désirer de voir régulariser ces unions en plus grand nombre ; malheureusement, d’après le témoignage de d’Aulnay, la plupart d’entre elles ne furent que le résultat de débauches fortuites et brutales, dont le fruit était abandonné au milieu des tribus, qui n’en étaient ensuite que plus difficiles à civiliser par la morale de l’Évangile… Non seulement l’existence de Latour et des siens était ainsi aventureuse et désordonnée, mais un certain nombre de Français (quelques déserteurs de navires peut-être ?), s’étant assemblés sur la grande rivière de la Hève, se refusaient à lui obéir et formaient une bande, comme il nous l’apprend lui-même, rivale de la sienne[1]. Dans de telles circonstances, et en présence de la colonie écossaise, Latour sentait de plus en plus le besoin de rentrer en rapports réguliers avec le gouvernement français. »

De 1604 à 1613, sous de Monts et Poutrincourt, l’histoire de l’Acadie est assez précise ; de 1614 à 1623, sous Biencourt, elle échappe à l’étude exacte et se prête à la légende, mais avec Latour elle combine les deux genres et captive l’imagination. Latour et plus tard Saint-Castin, furent des héros de roman, aussi les conteurs et les poètes se sont-ils emparé de leurs noms comme d’un bien appartenant à la famille littéraire.

Il est certain que Claude de Latour était huguenot. On affirme que Charles se proclamait catholique. M. Hannay fait marier celui-ci, vers 1625, avec une protestante, ce qui ne nous paraît pas du tout probable ; il s’agit plutôt de son mariage avec une sauvagesse. Bientôt après, il fixa sa résidence au fort Saint-Louis du Cap-Sable et l’endroit fut nommé port Latour. C’est de là qu’il écrivit (1627) au roi de France, se regardant comme son sujet et attendant ses ordres.

Sir James Stuart lord Ochiltree, se disant parent du roi d’Angleterre, arriva au port des Baleines, Cap-Breton, avec deux grands navires et une patache, vers le mois de juin 1629, portant une soixantaine d’hommes de débarquement, ainsi que des officiers et les femmes de ceux-ci ; de plus vingt ou vingt-cinq ménages de colons. Il s’empara du navire d’un nommé Dihourse, de Saint-Jean-de-Luz, qui faisait la pêche de la morue, le pilla, puis obligea Dihourse, avec, partie de ses hommes, de remonter sur leur bâtiment et d’accompagner ses

  1. Supplique de Latour au roi, de 1627, citée par Ferland.