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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

un certain nombre de serviteurs. Munis de nouveaux ordres royaux contre Latour, il s’embarqua avec son monde, au printemps de 1642, et se dirigea sur Port-Royal. Son premier soin fut d’occuper l’embouchure du fleuve Saint-Jean, afin d’amener Latour à composition, mais celui-ci s’était lié aux Anglais et lui fit lever le blocus ; plus que cela, il le poursuivit et s’empara devant Port-Royal d’une pinasse chargée de pelleteries. D’Aulnay retourna en France (1643). Le 18 août eût lieu une autre information contre le rebelle, suivie (6 mars 1644) d’un jugement du conseil d’État qui mettait Latour hors la loi et confiait toute l’autorité à d’Aulnay, avec injonction de se saisir du fort Jemsek. En même temps des dépêches furent adressées aux gouverneurs des postes anglais leur reprochant d’être intervenus dans les affaires de l’Acadie.

L’un des associés de Latour était le major Gibbons, de Boston, le même qui proposa au gouverneur de la Nouvelle-France d’entreprendre l’extermination totale des Iroquois à prix fixe. De nos jours on a vu une compagnie américaine offrir à la France et à l’Angleterre de prendre, pour le compte de ces puissances, la ville de Sébastopol, moyennant une somme d’argent reconnue. Latour visita Boston, y fut bien accueilli en qualité de lieutenant-général de Louis XIV, mais ne put entraîner les marchands à prendre son parti. Il fut seulement entendu qu’il pouvait racoler des volontaires[1]. Sur ces entrefaites (1644) madame de Latour, qui était allée en France, s’échappa et rejoignit son époux à Boston. Bientôt elle fit voile vers Jemsek, avec trois vaisseaux bien équipée, attendant ou l’apparition de d’Aulnay ou le retour de son mari. Ce fut d’Aulnay qui arriva.

« Une nouvelle attaque fut donc tentée au commencement de 1645 contre le fort de Jemsek ; Mme de Latour y était seule alors avec une cinquantaine d’hommes ; néanmoins elle soutint bravement le choc et força les navires assaillants à se retirer dans le bas du fleuve Saint-Jean où ils hivernèrent. Latour était en ce moment à Boston ; un nouveau secours de la Nouvelle-Angleterre l’eût peut-être sauvé, mais les puritains, obtempérant aux représentations de la France et aux injonctions de leur propre métropole, s’y refusèrent ; trois mois après, la place fut enlevée de vive force par d’Aulnay, après un assaut meurtrier. Mme de Latour, faite prisonnière[2] mourut trois semaines après, laissant, assure-t-on, un jeune enfant[3] qui fut envoyé en France ; son mari renonça momentanément à la lutte, et il erra, pendant plusieurs années, sur les côtes de l’Amérique du Nord[4]. »

On trouva dans Jemsek pour dix mille louis de joyaux, d’argenterie, de mobilier, canons et munitions de toute espèce. En une seule année d’Aulnay traita trois mille peaux d’orignaux, sans compter les loutres, les castors et les menues fourrures, « ce qui fut la cause qu’il déposséda Latour du fort Jemsek, » assure Nicolas Denys.

D’Aulnay recueillit tout le bénéfice du changement que produisait la disparition de son rival. En 1647 (février) le roi le nomma gouverneur-général de l’Acadie. Son attention se

  1. Voir Ferland : Cours d’histoire, I, 348.
  2. Elle assista, la corde au cou, à la pendaison de tous ses soldats, moins un.
  3. Latour parait avoir eu plus d’un enfant de ce mariage.
  4. Rameau : Une Colonie féodale, 92.