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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Virginies et îles adjacentes, à laquelle compagnie seront reçus tous les habitants du dit pays, pour telle part qu’ils y voudront entrer pour des profits y participer, de ce que chacun y aura mis. »

L’entente de Denys avec Latour est visible. Les créanciers de d’Aulnay le voyaient bien aussi : il leur était dû par ce dernier deux cent soixante mille livres. Les négociants de la Rochelle obtinrent un jugement, et, au mois de mars 1654, Emmanuel Le Borgne chevalier de Saint-Michel et un nommé Guilbaut, accompagnés d’une troupe armée, s’embarquèrent pour l’Acadie. En passant à Chédabouctou ils pillèrent les établissements de Denys ; ensuite Le Borgne s’empara de Port-Royal et se préparait à aller attaquer Jemsek lorsqu’il sut que Denys avait en main une commission royale et prétendait la faire respecter. Latour en avait une aussi. Le Borgne hésita à agir, mais en même temps la guerre éclatait en Europe. Les Anglais du Massachusetts surprirent Latour dans son fort et le chassèrent. Ils parurent alors devant Port-Royal, où étaient à peu près trois cents habitants, qui se rendirent le 16 août 1654. Le Borgne fut capturé avec son navire. Pentagoët et le cap Sable subirent le même sort. Toute l’Acadie, sauf les possessions de Denys, tomba au pouvoir des Anglais.

Un arrêt du roi de France, en faveur de Nicolas Denys (5 octobre 1655) parait avoir mécontenté Latour, car nous le voyons partir pour l’Angleterre et participer au bénéfice d’un acte de concession de toute l’Acadie accordée par Cromwell (9 août 1656) à sir Thomas Temple, William Crowne et Charles de Latour. Ce dernier eut l’adresse de vendre sa part à Temple et Crowne et se retira pour toujours dans la vie privée.

Les origines de l’Acadie ont été suffisamment exposées pour que le lecteur se rende compte de la question tant de fois débattue au sujet du caractère de ses premiers habitants. Nous voyons maintenant que trois groupes distincts s’y sont formés : Port-Royal avec Razilly et d’Aulnay ; le cap Sable avec Biencourt et Latour ; la région du golfe avec Denys. Ces deux derniers rassemblements d’hommes n’ont point formé assez de familles pour mériter la place d’honneur dans notre histoire. La seule colonie digne de ce nom est celle de Port-Royal — parce qu’elle était agricole, et que les descendants des familles établies en ce lieu se sont perpétués jusqu’à nos jours. Ainsi donc, contrairement à ce que l’on a dit, le peuple acadien ne fut pas une réunion d’aventuriers, un ramas d’écumeurs de mer, une sorte d’association de boucaniers vivant au hasard des circonstances et pliant ses tentes à l’approche du danger. Il était avant tout agriculteur, pas du tout adonné à la course ou à la guerre, et il cherchait à se créer une patrie, à se faire un avenir par les moyens les plus droits, les plus honorables : le travail, la moralité, les vertus domestiques. En cela, il ressemble à s’y méprendre aux colons du Canada. Si plus tard, les gouverneurs des postes anglais n’avaient pas commencé l’agression, si les couronnes de France et de la Grande-Bretagne étaient restées en paix, nous n’aurions point vu les habitants de Port-Royal et du bassin des Mines se mettre en mer et devenir la terreur de la Nouvelle-Angleterre. Les historiens n’ont cessé de nous peindre les Acadiens primitifs comme des brigands, des pirates, des gens de sac et de corde. Aujourd’hui on découvre que c’est tout le contraire qui est vrai. Les bandes