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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

maintenue supérieure en nombre aux accessions qu’elle recevait, et elle leur a communiqué son type original, tel qu’il s’était formé et développé sous Champlain, sous Montmagny et sous leurs premiers successeurs. »

L’origine du régiment de Carignan ferait le sujet d’un chapitre spécial. Bornons-nous à résumer ce qui en est connu. Le principal noyau de ce corps armé fut formé vers 1636, et servit au siège de Valence, sur le Pô. Il paraîtrait qu’il était alors commandé par un officier allemand du nom de Balthazar, lequel avait été attiré en France par M. de Salières, qui d’abord lui fit accorder la direction de quelques troupes, et ensuite réussit à fondre celles-ci dans le régiment du prince de Carignan. Les deux chefs conservèrent néanmoins chacun leur compagnie « colonnelles » et leur drapeau. Le régiment s’appela Carignan-Balthazar ; les commissions étaient expédiées sous le nom des deux colonels. Balthazar s’étant retiré, M. de Salières prit sa place, et le régiment reçut le nom de Carignan-Salières. Les deux « colonnelles » et les deux drapeaux subsistèrent. La « colonnelle » de Carignan était la première. Le 20 mars 1652, à l’affaire du pont de Gergau où commandait Turenne, le lieutenant-colonel (on ne donne pas son nom) du régiment de Carignan fut blessé à mort. Le 4 mai suivant, au combat d’Étampes, sous Turenne qui luttait contre Condé, le régiment de Carignan chargea l’un des premiers. Le 5 juillet, à l’attaque du faubourg Saint-Antoine de Paris, les régiments de Turenne, Uxelles, Carignan et Clare formaient la gauche de l’armée royaliste. Au temps de Turenne, on cite quarante-six régiments d’infanterie, parmi lesquels figure, d’après le numéro d’ordre que lui impose sa date de formation, celui de « Carignan-Salières, No 43. » La campagne où ce régiment s’est le plus distingué est celle de 1664 contre les Turcs, en Autriche. Il contribua puissamment au gain de la bataille de Saint-Gotthard, qui empêcha l’invasion de l’Allemagne du sud par les troupes du sultan.

En même temps que Louis XIV dirigeait des forces du côté des infidèles, il se préparait à exécuter ses projets à l’égard des colonies. Le 19 novembre 1663, M. de Tracy avait été envoyé aux îles de l’Amérique, avec des troupes pour y affirmer la prépondérance française et ensuite se porter vers le Canada. Au mois de mai (1664), ce dernier pays passa aux mains d’une nouvelle compagnie de marchands, et nous trouvons dans la pièce qui suit toutes les explications désirables à ce sujet :

« La paix[1] dont jouit présentement cet État nous ayant donné lieu de nous appliquer au rétablissement du commerce[2], nous avons reconnu que celui des colonies et de la navigation sont les seuls et véritables moyens de le mettre dans l’éclat où il est chez les étrangers[3], pour à quoi parvenir et exciter nos sujets à former puissante compagnie[4], nous leur avons promis de si grands avantages, qu’il y a lieu d’espérer que tous ceux qui prendront quelque part à la gloire de l’état et qui voudront acquérir du bien par les voies honorables

  1. De 1659 à 1666, la France ne s’engagea dans aucune guerre.
  2. C’est la seule gloire du règne qui, avec la protection des lettres, mérite d’être louée chez Louis XIV.
  3. Colbert et le roi voyaient avec un légitime chagrin les établissements des colonies hollandaises. C’était (1661-70) l’objet de leur préoccupation journalière.
  4. La création des compagnies des Indes (1664-5) suffirait seule à illustrer le nom de Colbert.