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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Un autre comté noble, l’île d’Orléans, fut créé en faveur de M. Berthelot, en 1676.

L’intendant Duchesneau éleva le premier la voix contre la noblesse du Canada. Dans sa lettre à Colbert du 10 novembre 1679, il affirme que la plupart des gentilshommes sont dans la pauvreté et cela par leur faute, vu qu’ils négligent leurs terres, passent le temps à la chasse, vivent d’expédients et, pour subsister, contreviennent aux ordonnances relatives à la traite. Eux et leurs fils, dit-il, courent les bois, invitent les jeunes habitants à les suivre, se plongent dans les dettes, et, malgré tout, veulent tenir un rang au-dessus du commun.

Nous avons parlé du titre de noblesse conféré à René-Robert Cavelier de la Salle en 1675, à la suite de ses travaux de découverte et de fondation.

Par son mariage avec Marie-Anne Le Neuf, fille de Jacques Le Neuf de la Poterie, le sieur René Robineau de Bécancour était devenu (1671) propriétaire de la seigneurie de Portneuf et y avait fixé sa famille. Vers 1682, ce fief fut érigé en baronnie. Jusqu’à la conquête (1760) le chef des Robineau a porté le nom de baron de Portneuf. L’un des fils de René ci-dessus, s’établit à Bécancour dont il était seigneur en vertu de l’héritage paternel ; il est souvent cité avec le titre de baron de Bécancour, mais on ne saurait dire si ce dernier fief a jamais été fait baronnie.

La manie des grandeurs a toujours agité les hommes. Le dessein de Louis XIV de créer une noblesse coloniale était assez connu pour susciter chez certains aventuriers l’espérance de jouer un rôle ici en usurpant des titres de cette nature. L’intendant de Meulles reçut instruction (1685) de rechercher les faux nobles et de les faire connaître, ce qui donna occasion aux nobles véritables de s’affirmer, mais en même temps leur situation de fortune fut mise au jour : elle n’était pas brillante, dans la plupart des cas.

L’intendant de Meulles était choqué de voir les simples gouverneurs de place prendre le pas sur lui dans les cérémonies publiques. Il regardait d’un œil de mépris toute « illustration coloniale » selon le terme à présent en usage. L’automne de 1685, il écrivait au ministre demandant qu’on ne permît plus à des gens aussi pauvres que la noblesse du Canada de figurer en tête des représentants de Sa Majesté. M. Nicolas Denys, ajoute-t-il, qui a été gouverneur de l’Acadie (son fils Richard était alors gouverneur de Gaspé), vit à Paris dans la mendicité. Cette lettre est méchante, toutefois elle se confirme en partie par une autre de Denonville, de la même année, dans laquelle ce gouverneur nous peint les gentilshommes de la colonie dénués de tout, mais très fiers de leurs titres et tâchant de paraître avec le plus d’avantage possible, sans parvenir à cacher la misère qui les ronge. J’aimerais mieux, ajoute-t-il, des habitants, car ceux-ci travaillent et sont prospères, tandis que les nobles flânent et crèvent de faim. La liste de ses récriminations est longue ; il ne ménage pas plus les mots que ne le fait M. de Meulles, et il revient sur le sujet dans trois ou quatre dépêches. Il y a, dit-il encore, des gentilshommes qui luttent avec honneur contre la mauvaise fortune, mais là où un habitant vivrait à l’aise, le personnage noble, tenu à plus de dépenses, de pertes de temps pour le service public et à se vêtir mieux que le commun des mortels, ne peut suffire aux exigences de la situation. M. de Saint-Ours était allé voir ce même gouverneur afin