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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

cun autre de juger de la capacité des sujets, que parce que la portion congrue des cures est payée sur les dîmes, qui appartiennent à l’évêque. Le roi, dans ce même arrêt, déclare que le droit de patronage n’est point censé honorifique. » Qui ne sait que la noblesse témoignait de l’aversion pour le commerce ? Le remède se trouvait inefficace. On ne fait pas des marchands derrière un comptoir avec des décrets. La traite des fourrures, la vie de coureur de bois, avait bien de l’empire sur les imaginations ; elle tentait bien les gentilshommes, mais il ne leur restait que le choix de se mettre aux gages des capitalistes. Les cens et rentes, très faibles, ne suffisaient point à couvrir les frais d’entretien d’une famille. L’habitant avait le bon côté de la situation ; la richesse nationale était dans ses mains : lui seul possédait le moyen d’accumuler, ou plutôt il était le véritable seigneur du Canada. Les financiers, il est vrai, avaient su organiser des compagnies de commerce qui amassaient de l’argent sur les marchés de l’Europe en échange des pelleteries du Canada, mais l’habitant se passait aisément de ces spéculateurs. Le jour vint, cependant, où la monnaie manqua : nous en parlerons plus loin — pour faire ressortir une fois de plus le systême d’exploitation suivi à l’égard des Canadiens par les bailleurs de fonds français. Quant à la noblesse venue de France, elle était issue de l’armée et elle brilla de nouveau lorsque les guerres se rouvrirent. La noblesse canadienne généralement plus riche parce qu’elle s’appuyait sur son travail, emboîta le pas avec ardeur du moment où il fut question de tirer l’épée.

Avec les guerres qui recommençaient en Europe, le roi négligeait de plus en plus le programme du peuplement du Canada dressé et en partie exécuté par Colbert. À partir de 1684 ceux qui se firent habitants parmi nous étaient des soldats, en très petit nombre, dont le temps de service expirait, qui optaient pour la colonie, prenaient des terres et devenaient Canadiens en épousant des filles du pays. Point de criminels, de repris de justice ; rien de ces classes oisives ou paresseuses qui battent le pavé des grandes villes ; très peu d’artisans même, à cause du manque presque absolu de manufactures. Des cultivateurs ou personne, tel était le mot d’ordre du pays. Il n’était pas plus permis au roi de nous imposer de la canaille qu’aux vagabonds de subsister chez nous. Les habitants ne toléraient point les gens sans aveu. Ces faits ressortent de l’étude des trente années qui suivirent la mort de Colbert.

Une série de lettres qui datent de cette époque, signées par La Hontan, officier dans les troupes, a beaucoup exercé la verve des écrivains. Ce farceur s’est amusé à décrire le mode de peuplement qui, selon lui avait été adopté envers le Canada. À l’en croire, on y envoyait des garnements, des repris de justice et des banqueroutiers. Sous sa plume, tout devient lettres de cachet ; à l’en croire, sitôt qu’une mauvaise affaire avait eu lieu en France, on exilait le coupable en Canada. La Hontan n’a fait que remonter le cours du fleuve et passer d’une garnison à une autre. Les condamnés dont il parle étaient des gens comme lui, dégradés et obligés de servir dans les troupes ; les banqueroutiers n’avaient point de place dans notre population agricole, et personne ici n’eût voulu souffrir la présence de ces sortes de gens. Ce n’était ni une contrée manufacturière ni un endroit ouvert aux prolétaires. La Hontan, après avoir fait les cents coups dans son pays, s’était vu réduit à servir