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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

fait le missionnaire. On l’informe ensuite des petits démêlés qui peuvent être entre les familles ; et s’il se trouve quelque différend, ce qui est rare, il l’accommode sans que les parties résistent. Chaque maison est une petite communauté bien réglée, où l’on fait la prière en commun soir et matin, où l’on récite le chapelet, où l’on a la pratique des examens particuliers avant le repas, et où les pères et les mères de familles suppléent au défaut des prêtres, en ce qui regarde la conduite de leurs enfans et de leurs valets. Tout le monde y est ennemi de l’oisiveté ; on y travaille toujours à quelque chose ; les particuliers ont eu assez d’industrie pour apprendre des métiers d’eux-mêmes, de sorte que sans avoir eu le secours d’aucun maître, ils savent presque tout faire. Il est vrai qu’on n’est pas dans le même embarras dans les lieux qui sont plus proches de Québec, mais il y a encore beaucoup à souffrir partout, et la plupart portent avec une grande résignation les souffrances inséparables de leur état, dans un pays où peu de gens sont à leur aise. Si les prêtres sont édifiés de la vie des laïques, les laïques ne le sont pas moins de la conduite des prêtres, qui se sont soutenus jusqu’à présent dans une grande estime et réputation de sagesse, quoique la plupart aient été exposés par la nécessité où ils sont encore en plusieurs endroits, de loger dans des maisons séculières, mêlés avec toutes sortes de personnes. La fidélité qu’ils ont à la grâce les conserve dans ce mélange ; on ne s’aperçoit pas qu’ils y perdent rien de l’esprit intérieur, qu’ils ont pris dans les séminaires, où ils ont demeuré quelque temps pour se sanctifier eux-mêmes, avant que d’être appliqués au salut des autres, et où ils retournent de temps en temps pour entretenir la faveur qu’ils y ont puisée ; ils font tous les jours leur oraison, et tous les ans leur retraite ; ils aiment la pauvreté, et ils vivent dans un parfait abandon à la divine Providence : à peine ont-ils en durant plusieurs années le nécessaire, et cependant ils n’ont pas laissé de travailler infatigablement, sans argent et sans maison, logés comme on a dit, par charité dans des lieux fort incommodes, mangeant ce qu’on leur donnait comme par aumône, et réduits souvent à boire de l’eau, dans leurs courses apostoliques. Le roi, connaissant la nécessité de pourvoir à la subsistance de ces ouvriers évangéliques, dont on a été obligé depuis peu d’augmenter le nombre, qui pourra croître encore dans la suite, a bien voulu suppléer par sa libéralité royale, à ce qui nous manquait pour l’entretien de quarante[1] curés qu’on a établis[2] ; il nous aide même à leur bâtir des églises et des presbytères dans les campagnes, sans rien retrancher de ce qu’il nous donne chaque année pour achever notre cathédrale, et pour contribuer au soutien des missionnaires, des hôpitaux, des séminaires et de toutes autres communautés. »

Le père Chrétien Le Clercq, récollet, s’exprime comme suit : « J’avais peine à comprendre ce que me disait un jour un grand homme d’esprit, sur le point de mon départ pour le Canada, ou il avait fait séjour et rétabli les missions des récollets (c’est le révérendissime

  1. Le recensement de 1685 donne douze mille deux cent soixante et trois âmes, y compris quinze cent trente-huit sauvages réunis en bourgades ; soixante et quatre seigneuries habitées ; quarante paroisses ayant des curés établis. En 1688 il n’est indiqué que onze mille cinq cent soixante et deux âmes.
  2. Voir Édits et Ordonnances, I, p. 231.