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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Le nombre des villages fortifiés, ou plutôt de ceux qui renfermaient des fortins en bois et quelques fois en pierre, était égal aux seigneuries, surtout dans le gouvernement de Montréal. On cite Chateauguay, Saint-Ours, Sorel, Saint-François du Lac, Contrecœur, Boucherville, Verchères, Longueuil, Laprairie, Lachesnaye, Repentigny, ayant des garnisons régulières, faibles il est vrai, mais qui pouvaient se renforcer au besoin des habitants et même des femmes, car il y a plus d’une mention de ces héroïnes faisant le coup de feu pour défendre leurs maisons.

Les puissances européennes, constamment alarmées par les avertissements de Guillaume d’Orange, stathouder ou chef des Provinces-Unies (Hollande) avaient vu avec surprise la révocation de l’édit de Nantes (22 octobre 1685) s’ajouter au bombardement de Gênes et à d’autres actes violents de Louis XIV. Le 9 juillet 1686 fut signalée la fameuse ligue dite d’Augsbourg, sous l’inspiration de la Hollande, et dans laquelle entrèrent la plupart des souverains de l’Europe, dans le dessein de forcer la France à respecter la paix de Nimègue. En même temps Jacques II, roi d’Angleterre, soutenu par Louis XIV, luttait contre une partie de son peuple, que Guillaume d’Orange (gendre de Jacques) soulevait à l’aide d’habiles intrigues. Guillaume traversa la Manche en 1688, chassa les Stuarts, prit le trône et se trouva face à face avec Louis XIV qui lui déclara la guerre, le 25 juin 1689.

Avant même que l’on eut appris la déclaration de guerre entre les deux couronnes, une armée de quatorze cents Iroquois fondit sur le Canada. Dans la nuit du 4 au 5 août, deux cents personnes furent égorgées à Lachine[1] avec des raffinements de cruautés inouïes. Un grand nombre de captifs, entraînés dans les cantons, y périrent au milieu des supplices. Le chevalier de Vaudreuil, qui commandait le fort Rolland, à Lachine, avait trop peu de soldats pour repousser l’ennemi et d’ailleurs le coup était porté avec un mystère et une précision irrésistibles. On accuse M. de Denonville d’avoir négligé les précautions que lui imposait la prudence, depuis plusieurs mois que les campagnes vivaient dans la crainte d’une attaque de ce genre. Quatre-vingts hommes, Français et Sauvages alliés, sous les ordres du lieutenant de la Robeyre, qui marchèrent peu après au secours de M. de Vaudreuil, tombèrent aux mains des Iroquois ; La Robeyre, blessé, fut amené pour subir les tortures que ces barbares infligeaient si souvent à leurs prisonniers, mais on se contenta de le retenir à la suite des guerriers comme esclave ; il fut délivré en 1694.

Lachine réduite en cendres, la bande infernale massacra une partie des habitants de Lachesnaye et brûla les maisons. Elle se répandit ensuite dans les paroisses et y commit les mêmes excès sur plusieurs points. Il n’y avait guère de résistance à opposer à un ennemi caché et adroit qui agissait par surprise sur une étendue de pays grand comme une province et coupée de forêts dont il se couvrait à volonté. Les Anglais ne firent aucun mouvement pour appuyer les Iroquois, ce qui porte à croire qu’ils ignoraient l’existence de la permission d’ouvrir les hostilités.

  1. Le 20 septembre 1687, neuf Français avaient été tués en ce lieu par les Iroquois, non loin du site de l’église Saint-Anne actuelle.