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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

toujours manifesté un fort penchant pour les découvertes. Nicolet reçut ordre de partir et de pénétrer jusqu’à la nation dites des Gens-de-Mer, que les rapports des sauvages amis des Français plaçaient dans la direction du sud-ouest, sur les rives d’un vaste lac, ou d’un fleuve, regardé comme assez voisin de l’océan Pacifique. Personne n’avait encore sondé les profondeurs du sud et de l’ouest. Les Européens s’imaginaient que le continent d’Amérique mesurait tout au plus cinq cent lieues de largeur.

Nicolet, qui avait vécu chez les peuples du lac Huron (côté oriental) s’était évidemment renseigné sur les tribus dont le pays était situé plus loin ; il comptait se rendre parmi elles et y faire connaître le nom français, en d’autres termes conclure des alliances à l’avantage de la foi chrétienne, du commerce et de la civilisation en général. Remontant l’Ottawa, passant au lac Nipissing, il côtoya le lac Huron et fut le premier Français qui vit le lac Michigan (1634) sur lequel il vogua jusqu’à la baie des Puants (Baie Verte ou Green Bay aujourd’hui). Du fond de cette dernière nappe d’eau il se dirigea dans les terres par la rivière aux Renards, puis franchissant un portage, il atteignit la rivière Wisconsin qu’il ne suivit peut-être pas mais dont il semble avoir compris tout le cours si l’on en juge par la relation qu’il en a faite au père Le Jeune[1]. À trois journées du Mississipi il rebroussa chemin, convaincu qu’il avait trouvé la route du fleuve, ou des lacs regardés comme l’entrée du Pacifique.

Partout sur son passage, l’envoyé de Champlain convoqua des assemblées ; parla de la France et « conclut la paix », c’est-à-dire qu’il échangea des promesses d’amitié avec les peuples nouveaux. On le fêta comme un homme merveilleux. Il recueillit nombre de renseignements utiles sur ces contrées, mais se trompa néanmoins touchant le grand fleuve dont il avait en quelque sorte vu les eaux, car celui-ci débouche dans le golfe du Mexique et non dans la mer de l’Ouest. Cette erreur n’enlève point à Nicolet le mérite d’avoir parcouru le premier une grande partie des lacs Huron et Michigan et de s’être avancé si près du Mississipi que l’honneur de la découverte de ce fleuve peut lui être attribué.

Si Champlain, qui mourut l’année du retour de Nicolet à Québec, eût vécu assez longtemps pour consolider son œuvre, il est probable que l’attention des Français se fût promptement dirigée de ce côté, mais M. de Montmagny, son successeur, abandonna l’idée de ces lointaines expéditions pour concentrer ses ressources autour de Québec.

Toutefois, la mission de Nicolet produisit un rapprochement entre les nations du sud-ouest et celles du Haut-Canada ; comme les pères jésuites avaient repris (1634) leurs prédications dans le voisinage de la baie Georgienne, des rapports, transmis d’une peuplade à l’autre, entretenaient la connaissance des Français jusqu’aux plaines du Mississipi. On en voit la preuve dans maints endroits des Relations des Jésuites, surtout une vingtaine d’années après le voyage de Nicolet, où des Sauvages d’au delà les lacs racontèrent, durant leur visite aux Trois-Rivières, les festins qu’ils avaient jadis donnés à cet interprète, récit conforme à celui que le père Le Jeune avait tracé sous la dictée de Nicolet plusieurs années auparavant.

  1. Voir State Historical Society of Wisconsin, VIII, S4, 188-94, 242 ; C. W. Butterfield : John Nicolet, Cincinnati, 1881.