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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

aussi l’a-t-il été plus d’une fois, mais on a infligé de tels châtiments (la peine capitale le plus souvent) aux auteurs de ces faux que ce crime est devenu très rare maintenant. Le manque de menue monnaie est une cause de perte pour les acheteurs et les vendeurs, vu qu’il n’y a pas de prix intermédiaire entre une livre et deux livres. »

Tout ce que nous avons imprimé jusqu’à présent sur le caractère et les coutumes des Canadiens-Français est tiré textuellement des écrits de témoins oculaires et nous nous sommes fait un devoir de citer ces textes à la date même où vivaient leurs auteurs. Les passages qui suivent vont compléter ce tableau sous le régime français. M. l’abbé de La Tour s’exprime en ces termes : « La simplicité des habits et la modestie des femmes avaient toujours régné en Canada ; le luxe et l’immodestie commencèrent à s’introduire vers la fin du siècle dernier, et malgré la pauvreté de la colonie, ont été toujours croissant. Il n’y a point de mode qui n’y soit apportée par les vaisseaux et qui n’y soit rapidement adoptée, à l’exception du rouge : les femmes canadiennes, du moins le grand nombre, n’ont pas encore imaginé qu’il fallait se défigurer pour plaire, et qu’un air de furie dût gagner les cœurs. » En 1682 Mgr  de Laval avait porté une ordonnance contre le luxe et la coupe des vêtements des femmes, si bien que un demi siècle plus tard, l’abbé de la Tour disait : « En général, les femmes ne viennent à l’église que décemment habillées et couvertes, et bien plus qu’on ne l’est, assez communément, en France. »

Les lettres de voyage du père Charlevoix sont remplies d’observations dont la justesse nous semble inattaquable : « On ne voit point en ce pays, dit-il, de personnes riches, et c’est bien dommage car on y aime à se faire honneur de son bien et personne presque ne s’amuse à thésauriser. On fait bonne chère si, avec cela, on peut avoir de quoi se bien mettre ; sinon, on se retranche sur la table pour être bien vêtu. Aussi faut-il avouer que les ajustements font bien à nos créoles. Tout est ici de belle taille et le plus beau sang du monde dans les deux sexes ; l’esprit enjoué, les manières douces et polies sont communes à tous, et la rusticité, soit dans le langage, soit dans les façons, n’est pas même connue dans les campagnes les plus écartées. Nous ne connaissons point au monde de climat plus sain que celui-ci. Il n’y règne aucune maladie particulière. Les campagnes et les bois y sont remplis de simples merveilleux, et les arbres y destillent des baumes d’une grande vertu. Ces avantages devraient bien y retenir au moins ceux que la Providence y a fait naître, mais la légèreté, l’aversion d’un travail assidu et réglé et l’esprit d’indépendance en ont toujours fait sortir un grand nombre de jeunes gens et ont empêché la colonie de se peupler… On dirait que l’air qu’on respire dans ce vaste continent contribue à ce défaut, mais l’exemple et la fréquentation de ses habitants naturels (les Sauvages) qui mettent tout leur bonheur dans la liberté et l’indépendance, sont plus que suffisants pour former ce caractère… Les Français Canadiens ont beaucoup d’esprit, surtout les personnes du sexe, qui l’ont fort brillant, aisé, ferme, fécond en ressources, courageux et capable de conduire les plus grandes affaires. Vous en avez connu, Madame[1], plus d’une de ce caractère et vous m’en avez témoigné plus d’une fois

  1. La duchesse de Lesdiguières.