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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

il était venu la tête pleine de rêves et ne pouvait se désillusionner. Son avarice, sa hauteur et sa jalousie le rendaient, du reste, insupportable. Il perdait un temps précieux à poursuivre des chimères. Lorsqu’on le pressait de tourner ses regards vers l’agriculture, il se moquait des légères et peu fructueuses tentatives faites dans ce sens par des particuliers et concluait que le pays de la Louisiane était impropre à ce genre d’exploitation. De l’or ! de l’or ! pas même du cuivre ! Il demandait des mines du précieux métal à tous les voyageurs coureurs de bois. Sa retraite fut décidée. Elle coïncida avec le fameux procès qui fut fait, cette année (1716) aux traitants, fermiers de la couronne, receveurs, etc., que le régent dut livrer aux tribunaux pour satisfaire l’opinion publique et pour leur tirer, au bénéfice du roi, une partie des sommes qu’ils avaient volées. Antoine Crozat ne put en sortir à moins de six millions six cent mille francs. Le lieutenant de police avait demandé au régent s’il devait arrêter les personnes qui appelaient Louis XIV un banqueroutier ; « non, dit le prince, il faut payer ses dettes » ; et dans ce but il avait donné ordre de sévir contre les dilapidateurs institués par l’ancien régime. Sur cent cinquante millions ainsi recouvrés, il n’en rentra que soixante dans les coffres du royaume ; le reste demeura aux mains de ceux qui avaient intercédé pour ces honnêtes gens.

Le 4 octobre 1716, Bienville arrivant des Natchez, reçut, à Mobile, un paquet du conseil de marine renfermant à son adresse un ordre du roi pour commander en chef dans la colonie, en l’absence de M. de l’Épinay nommé successeur de Lamothe-Cadillac. Une ordonnance du 8 octobre 1716 adjoignit M. Hubert, en qualité de commissaire-ordonnateur. Ces deux fonctionnaires arrivèrent de France, le 9 février 1717, avec trois navires de Crozat portant trois compagnies d’infanterie et soixante et neuf colons. La situation en elle-même ne changeait point, et comme le remarque M. Gayarré au lieu de dire à ceux que l’on envoyait en Louisiane « travaillez pour vous, » on leur disait : « travaillez pour nous. » Bienville et son parti battirent à froid la nouvelle administration. M. Crozat, voyant qu’il n’avait réussi en rien, fit l’abandon d’une partie de son privilège et le 27 octobre 1717, le conseil d’État envoya à M. de l’Épinay ordre de remettre le gouvernement à M. de Bienville et de repasser en France ; cette nouvelle fut apportée à Bienville le 9 février 1718. La compagnie des Indes qui prenait en main les affaires de la Louisiane s’engageait à y transporter, pendant la durée de sa charte, six mille blancs et trois mille noirs, mais il lui était défendu de tirer des autres colonies françaises aucun blanc, noir ou individu quelconque sans la permission du gouverneur de la Louisiane.

C’était le temps où John Law émerveillait la cour par ses combinaisons financières. Sa fameuse compagnie des Indes mit à la mode le nom du Mississipi. Une région grande comme la France et toute pavée d’or ; des terres cultivables qui ne demandaient que des bras ; des seigneuries, baronnies, fiefs et duchés reconnus par de bons parchemins ! Il n’y avait qu’à acheter des actions ! Ce fut un immense enthousiasme, une fraude gigantesque. Le Mississipi « traversa les salons de Paris, » y redora les financiers, bouleversa le commerce, ruina le royaume et ne fit pas grand bien à la Louisiane. Dès le printemps de 1718, huit cents