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Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VI, 1882.djvu/83

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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

se consomme ici est produit dans le pays et certains amateurs le préfèrent au tabac de Virginie, mais ceux qui se prétendent des connaisseurs émettent une opinion tout à fait contraire. Les Sauvages du nord sont les seuls qui achètent le tabac, parce que leur pays n’en produit point, et par conséquent il est en grande demande chez eux. Quant à ceux du sud, ils en plantent autant qu’il leur en faut pour leur propre consommation. On a remarqué que les Sauvages du nord fument plus que les autres. »

Hocquart observe que la traite des fourrures de l’ouest est principalement entre les mains des négociants de Montréal, et que ceux de Québec ont le commerce d’importation et l’avantage que donne la construction des navires. Treize ans plus tard, le professeur Kalm faisait les observations que voici : « on prétend que le privilège de vendre leurs marchandises importées a beaucoup enrichi les négociants de Québec, mais cette assertion est contredite par d’autres qui, tout en admettant qu’il y en a qui vivent dans l’opulence, assurent que la plupart d’entre eux ne possèdent guère plus que le strict nécessaire, sans compter ceux qui, grâce à leur vanité et leur amour du luxe, sont accablés de dettes. Les marchands s’habillent fort élégamment et poussent la somptuosité dans les repas jusqu’à la folie. »

Dans son mémoire de 1715 M. Ruette d’Auteuil déclare que les habitants avaient demandé, mais en vain, que l’on peuplât toutes les seigneuries situées sur les bords du fleuve et il rejette la responsabilité de l’inaction dans ce sens sur les hommes en place. Les ministres, dit-il, s’en rapportent aux gouverneurs, depuis plus de quarante ans, et ces fonctionnaires sont leurs créatures et souvent leurs parents ; les intendants ont été, en général, indifférents au mal comme au bien, parce que leur position dans ce pays n’était à leurs yeux qu’un moyen d’acquérir des richesses et parvenir à des emplois importants en France. Enfin, la plus grande partie du commerce se trouve accaparée par les chefs de la colonie. M. de Vaudreuil, tout en travaillant à améliorer la situation, n’en donnait pas moins l’exemple d’un homme intéressé pour son compte personnel dans divers bénéfices. On s’en plaignit. Le ministre se contenta d’écrire en marge de la lettre : « Le malheur, c’est que M. de Vaudreuil est pauvre. » Cette morale, dont nous avons vu plus d’un trait dans les chapitres précédents, régna de 1672 à 1760 et jointe à l’éparpillement de la population par toute l’Amérique, fit perdre le Canada à la France.

Ce n’était pas assez de voir la jeunesse employée dans l’ouest et des familles partir du Bas-Canada pour se fixer à plusieurs centaines de lieues dans la même direction : lorsque le gouvernement français voulut compenser la perte de Plaisance par la fondation d’une colonie à l’île Royale, il eut la singulière pensée de recruter la population nécessaire à ce but parmi les Canadiens.