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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

en butte aux dénigrements des uns et à l’oppression des autres, si nous avons fourni une carrière qui étonne tout le monde, cela est encore dû à nos origines. Avant d’être soumis aux épreuves que nous avons rencontrées sous le régime anglais, nous formions déjà un peuple avec des attributs de force et de solidité, avec des traditions, une expérience, des idées et des sentiments propres. Nous occupions le sol. Nos chefs étaient instruits et pleins d’idées nationales. Aussi, avons-nous été les premiers à comprendre le mode d’administration qu’il fallait adopter sous ces circonstance nouvelles, tandis que, à côté de nous, les marchands, les immigrants, les bureaucrates anglais, population flottante, sans lien ni expérience, ne faisaient que des bévues.

Il n’est pas mauvais, après tout, que l’on nie de temps à autres nos antiques vertus. Cela nous rappelle à nous-mêmes. Nos historiens feront reparaître dans le débat, des livres, des arguments, des observations, des faits trop souvent négligés. L’idée nationale sera moins en danger d’être oubliée, de faire fausse route. Dans une lettre récente, M. Rameau s’en réjouit, et il ajoute : « Montrer tout ce qu’il y avait de forces sociales, intellectuelles et morales en germe dans les temps primitifs du Canada ; faire voir comment les circonstances fortuites en ont retardé le développement et reporté à longue échéance le résultat des promesses que contenait l’aurore ; signaler aux Canadiens ce qu’ils peuvent faire pour poursuivre l’essor logique de cette destinée, que leur présageait la sagesse et la vertu de leurs ancêtres — voilà, ce me semble, quel doit être l’objectif de l’histoire du Canada aujourd’hui, si l’on veut que l’étude de l’histoire soit non seulement la fantaisie intellectuelle de quelques antiquaires, mais un enseignement vivant et fécond dans lequel les peuples sages et intelligents vont préparer les forces de leur avenir par l’observation du passé. Notez bien que c’est ainsi que l’Allemagne d’aujourd’hui a été préparée par les travaux patients et silencieux de deux ou trois générations laborieuses. Personne, en France n’ignore le rôle considérable que l’école historique, patronisée par les rois de Prusse depuis un siècle, a joué dans la régénération et l’organisation du peuple allemand. C’est maintenant à tous les travailleurs de bonne volonté de savoir s’entendre et de faire de l’histoire non pas seulement une satisfaction intellectuelle, mais une force patriotique. »

Enfin, le grand mot qu’on nous lance pour témoigner que nous étions inférieurs aux colonies rivales, ne renverse rien, ne prouve rien, et n’a d’importance qu’aux yeux des gens préjugés et des ignorants absolus : « Les Anglais vous ont écrasés ! »

Oui, les Anglais, pas les Yankees ! Oui, nous sommes les vaincus ; oui, nous avons été conquis, mais à qui la faute ? Les Alsaciens et les Lorrains, passés, il y a onze ans, sous le joug de la Prusse, sont-ils blâmables ? Va-t-on refuser à cette population le titre de « pépinière de braves, » que le premier Napoléon lui a décerné ? Que Louis XIV et Louis XV nous aient abandonnés ; que le second empire ait causé la perte de deux provinces de France, qu’est-ce que cela fait à l’histoire honorable et patriotique de nos petits peuples : Alsaciens, Lorrains, Acadiens et Canadiens ? Qui a combattu mieux que nous, et qui peut nous ôter l’honneur ?