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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

comprise aujourd’hui, Mesplet la partagea quelques mois. Son prospectus de la Gazette de Montréal renferme le passage suivant : « J’insérerai tout ce que l’on voudra me communiquer, pourvu qu’il n’y soit fait mention ni de religion, ni du gouvernement, ni de nouvelles concernant la situation présente des affaires publiques, à moins que d’être autorisé par le gouvernement — mon intention étant de me borner aux annonces, au commerce et aux matières littéraires. » La Gazette parut le 3 juin 1778. C’est la plus vieille gazette du Canada, et la troisième en âge sur ce continent. La relation de Saint-Luc de la Corne sur le naufrage de l’Auguste sortit la même année des presses de Mesplet, à Montréal.

Voici ce qui s’était passé en France. Vers la fin de 1775, les Américains s’étaient mis en rapport avec le cabinet de Versailles. Une intervention armée en Amérique paraissait sourire à M. de Vergennes, ministre des affaires étrangères. Les anciens officiers du Canada se disaient prêts à repartir. M. de Lévis offrait ses services. Dix mille hommes auraient reconquis la Louisiane et le cap Breton. Trente mille fusils distribués aux Canadiens devaient faire changer le sort de la colonie. L’Angleterre eut vent de ces pourparlers et proposa, dit-on, à la France de lui rendre le Canada, si elle voulait refuser des secours aux Américains. Les conseillers de Louis XVI s’opposèrent à ce projet. Le 6 février 1778, M. de Vergennes, poussant la galanterie internationale aux extrêmes limites, promettait à Franklin de ne plus s’occuper du Canada et d’envoyer des hommes, des munitions, une flotte et de l’argent au secours du Congrès. Franklin ne voulait voir le Canada ni indépendant ni soumis à l’Angleterre : il le désirait pour sa nation.

Les colonies anglaises s’étaient révoltées à la suite de taxes imposées par la mère-patrie et qui leur paraissaient exorbitantes. C’était un cas de légitime défense, et non pas un acte d’effronterie comme le dit M. Emile Keller dans son Histoire de France. Le même auteur ajoute : « Les Américains exigèrent que Louis XVI renonçât d’avance à recouvrer le Canada. À ce prix, ils lui feraient la grâce d’accepter son alliance. Il eut l’inconcevable désintéressement d’y consentir, et brisa à tout jamais les espérances de Français qui brûlaient d’être rendus à leur patrie. » Les Français en question c’étaient les Canadiens. Il n’est pas du tout prouvé que nos gens eussent généralement le désir de revoir ici le drapeau français. Trente ans après 1778, lorsque les Anglais proposèrent à l’Assemblée législative la création d’une banque, les habitants crièrent contre ce qu’ils appelaient l’ancien régime : le règne du papier-monnaie, tant ils avaient gardé un souvenir pénible des choses de l’administration française. Toutefois, en 1778, il est possible que les Canadiens réfugiés en France — et ils étaient nombreux — aient manifesté l’espoir de retourner vivre dans leur pays natal, sous la protection de Louis XVI, et comme ils entretenaient des rapports avec leurs familles demeurées ici, ils pouvaient sans doute compter sur quelques partisans, mais cela ne devait pas beaucoup affecter le sentiment du peuple. La classe élevée nous semble avoir gardé plus longtemps que tous les autres le culte du « gouvernement » français ; quand à l’amour de la France pour elle-même, il a toujours été vivace parmi nous. M. de Gaspé nous dit : « Il n’est pas surprenant que les anciens Canadiens, avant la révolution de 89, conservassent leurs