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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

cet éloge de convention se distribuait était évidemment réglé sur un mot d’ordre conçu à peu près comme suit. : « Avouons que les Français nous ont aidé, mais aidé seulement. » Aidé ! juste ciel ! Mais lisez donc l’histoire ! La révolution des colonies anglaises a été une tempête dans un verre d’eau jusqu’au moment où la France, travaillée habilement par Franklin, est accourue au secours de cette cause abandonnée. Les chefs en étaient rendus à payer cent piastres par volontaire qu’ils enrôlaient. Dans la seule France résidait l’espoir des agitateurs. Le désarroi était partout autour de Washington. D’ailleurs, à défaut de preuves directes, nous saurions toujours ce que valaient ces milices de la Virginie et du Massachusetts que nous avons battues vingt fois dans l’espace d’un siècle et qui, bien que douze ou quatorze fois plus nombreuses que les nôtres, n’avaient jamais pu franchir nos frontières. Figurons-nous ce qu’elles devaient valoir en présence des troupes de l’Angleterre. En peu de temps c’eut été un désastre sur toute la ligne, une débandade soignée. Les choses allèrent à tel point que le jour où Rochambeau débarqua à Newport, il trouva les maisons fermées contre lui, mais ouvertes aux Anglais. La cause était perdue. Rochambeau releva le courage des Yankees en leur donnant l’assurance qu’il était suivi de grands renforts d’hommes et aussi d’argent envoyés par la couronne de France. Là fut le point tournant de cette tant fameuse guerre de l’indépendance. Il était temps ! Les milices de la Nouvelle-Angleterre, qui n’avaient jamais pu remporter de succès contre les milices de la Nouvelle-France, étaient incapables de tenir tête aux régiments d’élite que le cabinet de Saint-James poussait dans les colonies révoltées. La population ne voulait plus se compromettre. Rochambeau eut même le déplaisir de payer le loyer du champ où il fit camper ses soldats en mettant pied à terre sur le sol de la jeune république. Aidé ! C’est le mot « sauveur » qu’on devrait écrire.

Le général Haldimand, qui avait servi dans la guerre de Sept Ans et qui, de 1760 à 1764, avait exercé de hautes fonctions parmi nous, arriva, en 1778, remplacer Carleton. On le connaissait pour être un homme énergique. Plusieurs faits de son administration ne sont encore connus que par les plaintes de ses adversaires. En feuilletant sa correspondance, récemment mise en lumière, on commence à croire qu’il a agi de rigueur avec assez d’à propos, se bornant le plus possible à poursuivre les Français (et non pas les Canadiens) qui agitaient le pays. Quoiqu’il en soit, à son arrivée, une sensation nouvelle s’empara de certains cercles. On voulut le terrifier, on dit qu’il menaçait le repos des honnêtes gens. Les événements s’y prêtaient. Les Français secondaient les auteurs de la déclaration d’indépendance américaine. Les troupes anglaises tenaient malaisément devant eux. Les Canadiens pouvaient tirer profit des circonstances pour se faire respecter. Une hardiesse inaccoutumée se manifesta parmi nous. Ce n’était ni plus ni moins que la politique qui cherchait à prendre droit de cité sur les bords du Saint-Laurent.

De 1778 à 1784, la politique se fit dans les gazettes et au coin du feu, à défaut d’une assemblée législative. Ceux qui tenaient la plume de l’opposition étaient des Français. Se faisant l’organe de cette opinion, Fleury Mesplet entreprit de publier (1779) une gazette « du genre libellique, » selon que s’exprime un annaliste du temps. Le rédacteur fut un