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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Saint-Louis, capitaine des gardes de M. de la Galissonnière, et on le pria de reprendre la direction des affaires du nord-ouest.

Dans ces bons offices, la main de M. de Beauharnois semble très visible. Rentré en France, ce gouverneur était en mesure d’éclairer les ministres dont la bonne foi avait été surprise. Il avait aussi dans le marquis de la Galissonnière un digne continuateur de son œuvre. La Vérendrye n’était pas homme à refuser une si éclatante occasion de se distinguer ou plutôt de prendre sa revanche. Secouant le fardeau de ses soixante et quatre ans, insensible à la maladie qui le minait, il s’appliqua avec ardeur aux préparatifs d’une nouvelle expédition. Cette fois, il voulait hiverner au fort Bourbon (1750-51) l’année suivante, il reconnaîtrait la Saskatchewan, y bâtirait une ligne de forts et, poussant toujours devant lui, il atteindrait la mer de l’ouest plusieurs centaines de mille au nord de l’endroit où ses fils s’étaient vu arrêtés par les Montagnes-Rocheuses. Tel était son rêve. Après dix-huit ans de travaux herculéens, il se revoyait, comme en 1731, au début d’une entreprise pleine de dangers, de soucis et de contretemps peut-être — mais n’ayant jamais éprouvé ni peur ni hésitation, tout lui semblait possible. « J’ai déjà quarante mille livres de dettes, écrivait-il en 1744, si c’est un avantage, je puis me flatter d’être riche, et je le serais devenu beaucoup plus par la suite si j’avais continué. » Ce ton léger fait voir qu’il avait conservé la vigueur première de son esprit.

Il ne devait cependant pas aller plus loin. Dieu voulait lui épargner le lamentable spectacle que présenta bientôt l’administration de notre cher pays. La récompense du Découvreur fut de mourir à propos, dans toute la jouissance d’une réhabilitation qui s’était fait attendre si longtemps. Son énergie avait été immense en face de l’adversité. La maladie aidant, il ne supporta pas le bonheur avec une égale force. La gloire à portée de la main, c’en était trop pour son tempéramment façonné aux déceptions pendant un demi siècle. Il ne devait pas voir se réaliser les projets d’avenir qu’il caressait pour sa famille, mais au moins il n’eut pas la douleur d’assister aux catastrophes qui engloutirent ses enfants dans la ruine de la Nouvelle-France. Il expira le 6 décembre 1749, emportant dans la tombe le sentiment que son œuvre et sa mémoire ne seraient par lettres mortes pour la postérité.

Deux figures se détachent au-dessus de toutes les autres dans la galerie des personnages que l’Histoire nous présente comme les fondateurs du Canada : Samuel de Champlain et La Vérendrye. L’un de ces hommes extraordinaires fut le père de la province de Québec. Le second, arrivé sur la scène un siècle plus tard, découvrit et fonda le Nord-Ouest. L’œuvre de chacun d’eux a été définitive en ce sens qu’elle n’a pas été interrompue par leur mort. Une fois leurs travaux accomplis, ils se sont couchés dans la tombe heureux et triomphants. Il ne leur manque de nos jours qu’une colonne de granit sur la place publique.

Champlain reçut le Canada sauvage ; il l’explora, y fit venir des colons et forma une nouvelle France si bien constituée qu’elle lui survécut et se développa, malgré des obstacles sans nombre. La Vérendrye ne trouva pas ce cadre assez vaste : il voulut le doubler — il le tripla. Nos voyageurs s’étaient arrêtés aux grands lacs : il se mit en tête d’aller jusqu’au