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Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VII, 1882.djvu/39

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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Le frère Chrétien, retourné en France (1724), enrôla six nouveaux maîtres ou novices, mais ayant contracté des emprunts d’argent, il conçut l’idée de se livrer au commerce pour faire fructifier ces fonds et perdit presque tout ce qu’il possédait de cette manière. L’institut en ressentit une gêne dont il lui fut impossible de se relever.

M. de Beauharnois, arrivé comme gouverneur en 1726, s’efforçait d’engager la jeunesse à s’instruire. Après quelques années d’essai, il écrivit au ministre : « En général, les jeunes gens du Canada sont peu portés à aucun genre d’application sérieuse et sédentaire, et le peu de ressources que les emplois de judicature donnent aux juges, ne peut exciter aisément leur émulation. La plupart préfèrent les voyages et le commerce, qui leur donnent à tous les moyens de vivre. Il n’est pas étonnant que les jeunes gens des îles recherchent les places vacantes de conseillers parce que non-seulement leurs mœurs sont différentes de celles des Canadiens, mais qu’étant nés avec de la fortune, ils n’ambitionnent que les honneurs. L’indigence domine en Canada ; on cherche à s’en tirer et à se procurer un peu d’aisance. » Le gouverneur ne dit pas tout ce qu’il faudrait dire. De nombreuses carrières étaient systématiquement fermées aux Canadiens. À part les grades de peu d’importance dans l’armée et quelques places de conseillers, toutes les charges se donnaient à des Français, qui venaient ici faire un stage de quatre ou cinq années avant que de prendre rang dans l’administration en France[1]. Nous avons vu plusieurs lettres adressées de Paris, entre les années 1727 et 1745, par des amis et des personnes influentes, recommandant à des employés de Québec de se bien tenir dans les bonnes grâces du gouverneur, de l’intendant et de leur entourage, afin de mériter que le ministre écoute les instances de promotion ou d’avancement des protecteurs de ces petits fonctionnaires. Un passage caractéristique de l’abbé de La Tour mérite d’être rapportée ici : « Le conseil de la colonie, dit-il, fut d’abord nommé souverain parce que, à l’exemple des parlements, il juge en dernier ressort les affaires de la colonie. La cour a depuis voulu qu’on le nommât seulement conseil supérieur, sans pourtant diminuer son autorité, sans doute par une sorte de délicatesse, pour ôter toute idée d’indépendance en écartant jusqu’au terme de souveraineté dans un pays éloigné, où les révoltes seraient si faciles à former et si difficiles à détruire. Sans doute, dans les mêmes vues, on n’a jamais mis dans les premières places que des gens nés en France, dont les familles fussent une espèce d’otage de leur fidélité. On ne mettait dans les secondes places, non plus que dans le clergé, que peu de Canadiens. On est aujourd’hui plus facile, et les Canadiens, en effet, ont le cœur tout français, leur fidélité n’est point douteuse. »

Les favoris du pouvoir remplissaient des fonctions qu’eussent parfaitement exercées les Canadiens. Par l’entremise de cette classe d’hommes, le gouvernement conservait à ses bureaux le caractère métropolitain qui cadrait avec l’esprit de centralisation adopté de longue date dans les affaires du Canada. La jeunesse du pays tenue en dehors des emplois et dans l’ignorance des choses de bureau, ne devait pas, en effet, manifester un fort penchant

  1. Voir le présent ouvrage, VI, 67-8.