Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VII, 1882.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
26
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

l’habillement était un peu trop ridicule pour l’état où il se trouvait, car il n’avait, par dessus une veste noire, qu’une robe de chambre d’été d’une belle perse, doublée de taffetas bleu et des pantouffles de même couleur, bordées d’un galon d’argent. Deux autres se nommaient Guindal et Vaticour. Lorsque M. de Beauharnois les vit, il haussa les épaules et dit que leurs familles devaient avoir perdu la tête en les exilant au Canada ; ensuite il voulut savoir ce qu’ils prétendaient faire. Le chevalier de Courbuisson fit, au nom de tous, d’un air badin, l’apologie de leurs parents et se reconnut très heureux de la bonté qu’ils avaient eue de les mettre sous les soins d’un seigneur aussi aimable, « ce qui fit rire M. le gouverneur et toute l’assemblée ; après quoi on nous donna la liberté d’agir comme bon nous semblerait. Il n’y en eut que deux (les braconniers probablement) de dix-huit que nous étions, qui ne sachant mieux faire, voulurent bien s’engager (dans les troupes). Encore ne s’en souciait-on pas beaucoup, car désertent-ils ! et sont-ils rattrapés après leur désertion !… Les chevaliers et les autres aimèrent mieux aller dans les côtes pour y servir de maîtres d’école. Pour moi, termine Le Beau, je restai à Québec, où j’eus le bonheur d’être employé, au bout de trois jours, au bureau du castor. » Courbuisson épousa la gouvernante de l’intendant Hocquart.

En 1714 on comptait soixante et quinze élèves au petit séminaire de Québec, à part ceux qui devaient se trouver au collège des jésuites. Le Beau disait, en 1729, que ce collège était « une école qui sert à instruire un petit nombre d’enfants. » Vers la même date, l’abbé de La Tour écrivait que le petit séminaire renfermait « plus de soixante enfants, se formant à la piété, sous la conduite de plusieurs supérieurs subordonnés au supérieur du séminaire. Ils vont en classe au collège des jésuites, ajoutait-il ; ils portent un habit bleu à la matelote qui les distingue des écoliers de la ville. » Ces derniers mots indiqueraient l’existence d’écoles laïques dans l’enceinte de la ville.

« En 1728, dit M. Garneau, les jésuites demandèrent la permission d’ouvrir un collège à Montréal… Il ne fut jamais question (sous le régime français) d’aucun plan général d’instruction publique… Les jésuites étaient ceux qui, par état, devaient être à la tête de l’enseignement, mais ils furent moins heureux en Canada qu’ailleurs, car leurs classes ne furent jamais considérables. On se contentait dans les villes des connaissances nécessaires pour le courant des emplois. Le gouvernement, qui préférait avant tout la soumission de ses sujets, se donnait bien garde de troubler un état de choses qui rendait les colons moins exigeants, moins ambitieux, et par conséquent plus facile à conduire. La métropole fut punie la première de son oubli coupable et impolitique, car si les Canadiens, au lieu de se livrer à la chasse, à la vie aventureuse, avaient embrassé l’agriculture, le commerce et les arts, leurs succès auraient attiré des colons, et lorsque la guerre de 1755 éclata, le pays aurait été plus riche, plus populeux, et il aurait pu faire à ses ennemis une résistance plus heureuse. » De son côté, M. Rameau nous dit : « L’éducation des Canadiens fut, il est vrai, généralement négligée et fort inférieure à celle des Anglais, mais leur haute moralité et les heureuses qualités de leur caractère compensèrent en partie ce défaut, qu’il faut imputer du reste à l’insouciance de leur administration autant qu’à eux-mêmes. »