Vers ce temps, le père Le Clercq, récollet, écrivait : « La plus sûre fonction des missionnaires est d’administrer aux Français qui sont en traite, aussi est-il vrai de dire que, dès que les pelleteries ne sont pas abondantes dans les cantons et que les Français n’y vont plus en traite, les révérends pères (jésuites) ne s’y tiennent plus aussi, jugeant leur présence inutile auprès de ces barbares. Témoins la plupart des missions qu’ils avaient établies et cultivées depuis 1632, mais qu’ils ont été obligés de quitter à mesure que les Français n’y étaient plus attirés par l’intérêt temporel. De ce nombre sont les missions de la grande baie de Saint-Laurent, Ristigouche, Nipsiguit, Miscou, le cap Breton, Port-Royal, Rivière-du-Loup, cap de la Madeleine, les Trois-Rivières, Nipissiriniens, plusieurs missions chez les Hurons dans le haut du fleuve. On est contraint même de quitter Tadoussac pour s’établir à Chigoutimi[1] — sans parler de beaucoup d’autres qui ne subsistent plus aujourd’hui. »
Mgr de Saint-Vallier n’était que le vicaire-général de Mgr de Laval qui l’avait fait nommer. Il passa en France, l’automne de 1686, et fut sacré évêque de Québec en 1688 ; le 15 août de cette dernière année il débarquait de nouveau à Québec. Au lieu d’aller, comme son prédécesseur, loger au séminaire, il se retira dans son palais épiscopal. « Cela commença, dit Garneau, à éveiller les soupçons. Ensuite, il voulut séparer du séminaire la paroisse et le chapitre ; ce qui déplut encore davantage ; aux yeux de plusieurs le nouveau prélat passa pour avoir un esprit inquiet et emporté. La querelle s’anima. Il fallut en appeler à l’intervention de l’archevêque de Paris et du père de La Chaise, arbitres ordinaires des contestations ecclésiastiques du Canada. » Mgr de Laval, qui était revenu ici et qui demeurait au séminaire de Québec, tenait tête à son ancien protégé. Les animosités religieuses faisaient rage dans la colonie. Les deux évêques se tiraillaient publiquement comme avaient fait Mgr de Laval et les quatre ou cinq derniers gouverneurs du Canada. « En 1692, sur l’avis de l’archevêque de Paris et du père de La Chaise, le roi enjoignit enfin, ajoute Garneau, de se conformer à sa déclaration de 1686, donnée pour tout le royaume et qui défendait de nommer des curés amovibles sous quelque prétexte que ce fût. Quant à la réunion de la cure de Québec au séminaire, elle fut confirmée par Louis XIV en 1697. »
Parlant de ces malheureuses disputes, M. l’abbé Casgrain écrivait récemment, au sujet du jugement porté par Garneau sur Mgr de Laval : « Je me souviens encore des hauts cris que suscita ce jugement lorsque parut le premier volume de l’Histoire du Canada. » Mais quand on l’examine avec la froide raison, après avoir étudié les documents de l’époque, on ne peut s’empêcher d’en reconnaître la justesse. L’œuvre de Mgr de Laval est trop grande, ses intentions étaient trop droites, sa sainteté est trop éclatante, pour qu’il ne soit pas permis d’avouer des défauts de caractère qui étaient, pour ainsi dire, l’apanage des grands de son siècle. L’atmosphère, en France, était à l’absolutisme. Louis XIV, le monarque peut-être le plus absolu des temps modernes, était l’exemple sur lequel se modelaient tous ceux qui, de loin comme de près, partageaient son pouvoir. Les hommes d’église les plus saints subissaient,
- ↑ Les jésuites ont eu ensuite un poste de traite à Chicoutimi, d’après une lettre de M. Taché.