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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

sera définitivement l’effet particulier des institutions de la province. Dans l’intervalle, il surgira des questions incidentes au cours de la lutte, et les partis rivaux en apprécieront les résultats non seulement en ce que ces résultats pourront servir leur propre cause, mais en ce qu’ils pourront nuire à leurs adversaires ou les humilier. On n’estimera pas le gouvernement suivant ses mérites indépendants ou sa courageuse impartialité, on le jugera d’après le degré auquel ses vues pourront s’accorder avec les fins de l’une ou l’autre des factions. Dès son début, l’administration de lord Aylmer fut en butte au ridicule et au mépris de la part des constitutionnels (ainsi qu’on les nomme, à tort aujourd’hui) cependant, lorsque l’humeur querelleuse des Français eut fait sortir lord Aylmer de cette classe, les Anglais l’accueillirent à bras ouverts, et je les vis moi-même l’accompagner à la grève avec des acclamations, des éloges et presque des larmes.

« Après avoir ainsi passé en revue la composition et les mobiles des partis qui divisent ce pays, il semblerait naturel que je tirasse du tout une conclusion pratique. J’ai déjà dit que si la sécession était la chose à craindre, je m’attendrais à ce que le parti qui fait continuellement grand bruit des lois anglaises et du lien britannique, fût de beaucoup le plus disposé à se révolter. Mais laissant de côté la question de sécession (ainsi que vous le pouvez faire sans risque, je crois,) et n’envisageant nos difficultés que comme embarras d’administration du jour au lendemain, le parti français, aux mains duquel sont les institutions représentatives du pays, est évidemment le plus formidable et celui dont la faveur est le plus nécessaire pour la conduite des affaires publiques.

« Si nous abandonnons ces considérations toutes d’actualité pour des vues d’une portée plus élevée et d’un caractère plus permanent je ne nierai pas que tout en m’écartant des conclusions tirées par les Anglais, je reconnais beaucoup de poids aux faits sur lesquels ils basent leurs raisonnements. Bien qu’ils puissent rarement prouver que les Français agissent inconstitutionnellement, ils démontrent souvent que ces derniers usent de la constitution d’une manière peu sage. Par exemple, il n’est pas inconstitutionnel qu’une branche du parlement, à laquelle est spécialement confiée la garde du trésor public expose ouvertement le montant de ses dépenses imprévues et ne permette pas que les autres portions de la législature en scrutent les détails ; mais en même temps il est déplorable que, de l’aveu presque général, ce privilège devienne vraisemblablement le moyen d’accorder des appointements exagérés aux partisans de la majorité de l’assemblée, et peut-être de couvrir les déboursés de comités de correspondances non autorisés, et d’assemblées volontaires de députés en dehors de la session. Le remède à ce mal consisterait dans l’indignation et le ressentiment du peuple, et l’on doit indubitablement regretter avec le parti anglais, que pour les besoins politiques, il n’y ait guère de peuple en Bas-Canada. Ce que je viens de vous dire à l’égard des dépenses contingentes peut également s’appliquer à l’immense influence d’individus qui peuvent trouver à discrétion (si je puis m’exprimer ainsi) des milliers de votes et de signatures. Je diffère d’avec les Anglais quant à dire que la chose est inconstitutionnelle, mais je tombe d’accord avec eux en ce qui est de penser qu’il faut de la sollicitude pour essayer le fonctionnement de la constitution anglaise dans un pays où il n’y a pas d’opinion publique, et où