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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

manifesté leur mécontentement plus d’une fois, au risque de se voir mépriser. Sous les Anglais ils ont continué à se conduire à leur guise, voulant être maîtres chez eux. « S’il vous faut des martyrs, prenez-en parmi nous, disaient-ils, mais en fin de compte vous n’aurez pas le dessus. » Les événements des deux derniers siècles l’ont bien prouvé ; et d’ailleurs la France et l’Angleterre ont toujours eu plus besoin de nous que nous n’avons eu besoin d’elles. Un acte héroïque celui de 1837-38 par exemple — tout inconsidéré qu’il puisse être, — nous fait plus d’honneur et nous est plus utile que toutes les soumissions à la volonté d’un pouvoir européen. Si pour rendre justice à la colonie, il faut du sang, nous en avons à répandre et du meilleur. La honte en ce cas n’est pas pour les victimes.

Nous étions à cette époque déshabitués du service des armes. Petits-fils des combattants de la Monongahéla, de Carillon et de Sainte-Foye, les Canadiens ne connaissaient plus leurs cadres de milice ni les principes de la guerre. Les dissentiments politiques les affaiblissaient encore. Sur soixante et cinq comtés, il y en avait soixante qui voulaient rester dans la situation légale et ne faire que de l’agitation parlementaire.

L’exploit de Saint-Denis fut la seule épisode grandiose de l’insurrection. Quelques centaines de Canadiens, armés de fourches, de faulx, de bâtons, et presque sans fusils, résistèrent, six heures durant, à un corps de troupes royales fort de cinq cents hommes, et supporté par de l’artillerie. Abandonnant canons et équipages, le colonel Gore termina la journée par une retraite humiliante. Plus tard, l’armée anglaise reparut à Saint-Denis et brûla le village : personne n’était là pour lui résister.

La discussion n’est pas finie sur les événements et sur les hommes de 1837-38. De part et d’autre on se lance force tirades. La colère et le dépit se donnent beau jeu dans ces joutes de la plume, où nous aimerions à voir plus de sang-froid plus de renseignements historiques, moins de phrases ampoulées, moins d’exagération de toutes sortes. Hélas ! nos journaux ne connaissent pas d’autre genre de discussion. Des gros mots, des railleries déplacées, puis des insolence ; l’article ainsi épicé est lu avec empressement. Dis-moi ce que tu lis…

Un cercle littéraire, une revue, un journal s’occupent-ils des hommes de 1837-38 » c’est pour savoir si Chénier était brave, si de Lorimier a évité le combat, si Papineau tremblait, si Cartier avait un fusil ! Qu’est-ce que l’on prouverait si les témoignages attestaient que ces chefs du mouvement n’étaient pas des Murat, des sabreurs, des enfonceurs de bataillons ? Rien du tout. Leur mission était celle des orateurs populaires, sous tous les régimes. Vouloir en faire des soldats ou des capitaines tout à coup habitués au ronflement du canon et aux crépitations de la fusillade, c’est déplacer le sujet. Pourquoi ne pas traiter en hommes politiques les hommes politiques ?

La politique divise les hommes en partisans. Elle ne devrait pas en faire des ennemis. Ceux d’entre nous qui pensaient, en 1837, que les « patriotes » allaient trop loin, eussent dû les laisser se tirer d’affaire avec les troupes anglaises. Mais prendre le fusil dans ces conditions et verser le sang des siens c’est dépasser la limite d’un protêt. Quoique l’on dise pour blanchir les « volontaires » on n’en fera rien d’aussi bon que les « patriotes ». Ceux ci défendaient une noble cause ; ils le faisaient maladroitement, mais avec héroïsme — mieux valait