Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VIII, 1884.djvu/148

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
135
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

aux mains des conservateurs ou tories, ne votait guère d’argent pour aider la colonisation du Bas-Canada ; il en fut autrement sous Lafontaine. Le clergé catholique seconda les efforts de nos ministres.

Il se produisit en 1849 une circonstance inattendue. M. Louis-Joseph Papineau, rentré en chambre, se prononça pour le rappel de l’union des Canadas, contre le gouvernement responsable et se déclara en faveur de la représentation répartie d’après le chiffre de la population. Une brillante jeunesse, les membres de l’Institut Canadien de Montréal, épousait ses idées : il se forma un parti qui en se détachant des libéraux de M. Lafontaine affaiblit d’autant ce dernier. Les rouges, ou libéraux nuance Papineau, dressèrent un programme très avancé pour le temps et dont ils proclamèrent les articles à la tribune, dans leurs journaux, puis à la chambre d’assemblée à mesure que l’un d’eux y pénétrait nommé par le vote populaire.

Le parlement siégeait à Montréal (1849) lorsque M. Lafontaine proposa d’indemniser les habitants du Bas-Canada qui avaient souffert des pertes matérielles durant les troubles de 1837-38. Les conservateurs ou tories se prononcèrent avec violence contre ce projet. Sir Allan McNab se déchaîna de toute sa puissance contre les « rebelles » ; les galeries applaudirent. Il y eut des assemblées par la ville. Les manifestations devinrent inquiétantes. On brûla M. Lafontaine en effigie. Le cri de guerre était « anéantissement des Canadiens-Français. » Les partis en vinrent aux mains jusque dans le Haut-Canada. La mesure passa par un vote de vingt-quatre députes anglais unis à vingt-quatre Canadiens, contre vingt-trois Anglais. Le 25 avril, lord Elgin sanctionna les bills au milieu des cris et des provocations des tories ; ces derniers se formèrent ensuite à la porte de la chambre et jetèrent des œufs et des pierres au gouverneur ; puis se ruant sur l’édifice même, il y mirent le feu, alors que les membres étaient encore en séance. Les archives, les bibliothèques, tout fut consumé. Les demeures de M. Lafontaine et de quelques députés furent saccagées ou brûlées. L’émeute dura plusieurs jours. Le gouverneur ne pouvait plus sortir sans être attaqué. Les trois quarts de la population des deux provinces se prononcèrent contre ces actes indignes, qui ruinèrent à tout jamais le parti conservateur ou tory. Les libéraux rouges ou démocrates, avec M. Papineau pour chef, se joignirent à une faction de tories qui penchait vers l’annexion aux États-Unis. Sous cette forme se constitua un parti dit libéral qui lutta contre les libéraux de Lafontaine-Baldwin, et jusqu’à 1867 les deux camps s’arrachèrent l’un l’autre le pouvoir. L’habileté avec laquelle le parti Lafontaine (plus tard Cartier) résista aux libéraux démocrates, s’empara petit à petit d’une bonne portion de leur programme et se maintint au pouvoir est un fait connu de tout le monde. Lorsque M. Cartier eut fait alliance avec un certain nombre de conservateurs du Haut-Canada, conduits par M. John A. Macdonald, on donna à son parti le nom de libéral-conservateur qu’il garde encore aujourd’hui. Les disciples de M. Papineau, ensuite de M. A.-A. Dorion, continuèrent de se nommer libéraux tout court, ou encore les rouges, pas opposition aux bleus de Cartier.

Lorsque M. Lafontaine se retira de la politique, en 1851, les défauts de l’acte d’Union de 1840 avaient été réparés. Nous ne suivrons pas la marche des chambres dans des matières