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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

ils continuent à semer les même champs des mêmes grains, sans égard pour ce qui devra en résulter. Néanmoins le sol n’est pas encore épuisé comme aux États-Unis… Le tabac vient parfaitement, mais on ne le cultive pas sur un grand pied ; la moitié de ce qui s’en consomme dans le pays est importé. Le tabac canadien est beaucoup plus doux que celui du Maryland et de la Virginie ; il donne une poudre à priser très bien reçue… L’air du Bas-Canada, est extrêmement pur, et le climat est considéré comme des plus salubres. De Montréal en descendant, il ressemble beaucoup à celui de la Nouvelle-Angleterre. Les habitants vivent vieux… Les gens qui ont passé un hiver ici ne redoutent nullement la sévérité de la température, et quant aux Canadiens, ils préfèrent cette saison à toutes les autres. En réalité, je n’ai entendu qu’une voix dans la province sur ce sujet ; on n’en saurait être surpris lorsque l’on songe comment les habitants passent l’hiver. Si les Canadiens voyaient nos hivers d’Angleterre, ils soupireraient comme nous après le printemps. Chez eux, c’est la saison du plaisir. Dès que le froid sec commence, l’air devient très pur et les affaires sont abandonnées. On se donne à la joie. Ce n’est plus que réunions d’amis, allant d’une maison à l’autre ; des fêtes où la musique, la danse, le jeu de cartes et tous les amusements sont employés… La première habitation que nous rencontrâmes à Batiscan était une ferme d’habitant où l’on nous donna de suite un logement pour la nuit. Les gens de l’endroit étaient extrêmement polis et se mettaient à nos ordres de tout cœur. On dressa prestement une petite table, couverte d’une belle nappe blanche, de beurre, de lait, d’œufs, de pain et de tout ce qu’il y avait de meilleur dans la maison. Toutes les femmes du Bas-Canada ont de ces victuailles en abondance, mais on y trouve rarement de la viande, si bien que les voyageurs ont la coutume d’en apporter avec eux. Les maisons possèdent d’excellents lits, genre français, très large, hauts de quatre à cinq pieds du plancher, avec paillasse, matelat et couche de plume. La plupart de ces demeures sont bâties de bois, pièce sur pièce, mais beaucoup mieux faites que celles des États-Unis. Les pièces de bois sont plus adroitement jointes et la face extérieure en est applanie et blanchie à la chaux. En dedans les murs sont doublés de planches, tandis que, aux États-Unis on les laisse dans leur forme brute, aussi bien qu’en dehors. Par exemple, les Canadiens ont le défaut de ne pas assez ouvrir les fenêtres et l’air se raréfie par trop dans leurs maisons. Si vous demandez aux habitants pourquoi ils font cela, ils répondent : « Ce n’est pas notre manière. » Weld voyageait au mois d’août, et chacun sait que, à cette époque de l’année, il vaut mieux fermer portes et fenêtres… « Sur la route de Laprairie, en arrivant du lac Champlain, une foule de choses vous démontrent que vous êtes dans un autre pays. Le drapeau anglais, les soldats, les habitants français allant de ci de là avec leurs tuques rouges, les enfants sortant des maisons pour vous saluer au passage, coutume inconnue aux États-Unis, la belle apparence des maisons ; les calèches, les calvaires, les grandes églises catholiques, les chapelles, les couvents, les prêtres avec leurs soutanes, les religieuses, les frères ; tout vous explique que vous avez changé de pays. Le langage aussi est différent : c’est le français qui domine… Presque tous les établissements du Bas-Canada sont situés le long des rivières, ce qui rend le paysage bien différent de celui des États-Unis. Les bords de l’Hudson, plus cultivés que ceux du Saint-Laurent, sont sauvages et désolés