Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome VI, 1882.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

pied dans les lacs. Il est encore de leur intérêt d’attirer à leur parti les sauvages de l’Acadie ; ils le peuvent faire avec peu de dépense ; ceux de la Nouvelle-Angleterre devraient y songer, aussi bien que de fortifier les ports où ils pêchent les morues. À l’égard des équipements des flottes pour enlever des colonies, je ne leur conseillerais pas d’en faire ; car supposé qu’ils fussent assurés du succès de leurs entreprises, il n’y a que quelques places, dont on pourrait dire que le jeu vaudrait la chandelle. Je conclus et finis en disant que les Anglais de ces colonies ne se donnent pas assez de mouvement ; ils sont un peu trop indolents ; les coureurs de bois français sont plus entreprenant qu’eux, et les Canadiens sont assurément plus actifs et plus vigilants. Il faudrait donc que ceux de la Nouvelle-York tâchassent d’augmenter leur commerce de pelleteries en faisant des entreprises bien concertées, et que ceux de la Nouvelle-Angleterre s’efforçassent à rendre la pêche des morues plus profitable à cette colonie en s’y prenant de manière que bien d’autres gens feraient, s’ils étaient aussi bien situés qu’eux. Je ne parle point des limites de la Nouvelle-France et de la Nouvelle-Angleterre puisque, jusqu’à présent, elles n’ont jamais été bien réglées, quoiqu’il semble qu’en plusieurs traités de paix entre ces deux royaumes, les bornes aient été comme marquées en certains lieux. Quoiqu’il en soit, la décision en est délicate pour un homme qui n’en saurait parler sans s’attirer de méchantes affaires. »

Après avoir lu ces passages, Charlevoix fait les réflexions suivantes : « On serait assez embarrassé de nommer une seule famille que le trafic des pelleteries ait enrichie. On a vu des fortunes, aussi immenses que rapides, s’élever et disparaître presque en même temps… Rien n’est plus ordinaire dans ce pays-ci (1720) que de voir des gens traîner dans la misère et dans l’opprobre une languissante vieillesse, après avoir été en état de se faire un établissement honorable. Ces fortunes, manquées par des particuliers qui ne les méritaient pas, ne seraient nullement dignes des regrets du public si le contrecoup n’en était pas retombé sur la colonie, qui s’est bientôt trouvée réduite au point de voir presqu’absolument tarir, ou détourner ailleurs, une source d’où il pouvait couler tant de richesses dans son sein. »

D’Iberville avait proposé (1700) de rendre le commerce libre. On se garda bien d’écouter ce conseil, et les monopoles, tout en changeant de forme (1700 à 1717) continuèrent de ruiner la colonie. En 1706, les deux intendants Raudot développèrent un vaste plan dont la base était l’agriculture et l’industrie, et rejettant le commerce des pelleteries comme une cause de ruine infaillible. L’esprit européen, exclusif et arriéré selon son habitude, ne voulut point se rendre. Le castor, déjà en partie épuisé, allait disparaître, qu’importe ! Marchands et bailleurs de fonds n’avaient guère souci de ce que deviendrait le Canada après la disparition de cette manne dont l’abondance en premier lieu avait tourné la tête aux habitants. MM. Raudot observaient que la traite n’avait jamais pu faire subsister qu’un petit nombre de colons et que c’était folie de croire que le castor, en supposant qu’il ne diminue pas dans les forêts, deviendrait d’un usage assez général pour entretenir et enrichir une population de quinze mille âmes dont l’accroissement naturel serait de plus en plus hors de proportion avec de telles ressources. Il n’en est pas du castor comme de la morue qui se multiplie dans des proportions incalculables.