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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Des rapports suivis existaient toujours entre nos compatriotes réfugiés en France après la cession du pays et les membres de leurs familles demeurés parmi nous ; de nombreuses lettres qui ont été conservées le font assez voir. Dans les listes officielles des pensions que le gouvernement français payait encore en 1792[1] aux Canadiens et aux Acadiens établis en France, nous retrouvons les personnages les plus connus de notre histoire dans la première moitié du dix-huitième siècle. Tout nous porte à croire que des prêtres, effrayés des excès qui se commettaient après la prise de la Bastille (1789) furent invités à passer au Canada, par les Canadiens, officiers civiles ou militaires, qui les connaissaient. La question de placer ces émigrants occupa apparemment l’administration, puisque Mgr Hubert écrivait au gouverneur le 16 avril 1793 : « S’il ne s’agissait que de pourvoir à la subsistance d’une centaine d’écclésiastiques, je n’hésiterais pas à prendre sur moi de les placer, d’hui à un an, dans différents endroits du diocèse, où ils auraient le double avantage et de subsister et de se rendre utiles aux peuples par l’exercice de leurs fonctions sacerdotales. Il est pareillement à présumer qu’un petit nombre de familles émigrées trouveraient dans la générosité des habitants du pays et dans leur propre exertion des ressources promptes et suffisantes. Mais comme il est probable qu’un nombre beaucoup plus considérable d’ecclésiastiques et de familles françaises aborderont à Québec dans les premiers mois de la navigation prochaine, il devient indispensable à la province de prendre des mesures plus étendues… Il est important de répandre ces émigrés dans les différents endroits de la province, dès le moment de leur arrivée. La ville la plus peuplée de ce pays n’est pas capable de nourrir, pendant huit jours, trois ou quatre mille[2] étrangers, sans courir les risques de s’affamer elle-même. » Mgr propose d’adresser une circulaire aux curés, et il ajoute : « Il y aurait peu de paroisses qui n’en pussent recueillir une dizaine ; d’autres pourraient en recevoir vingt ; d’autres quarante, et d’autres peut-être davantage… Chacune des deux villes de Québec et Montréal peut loger un ou deux cents réfugies et les Trois-Rivières cinquante, surtout avec le secours des appartements qu’offrent plusieurs communautés presque désertes…[3] L’évêque de Québec, en épargnant sur ses modiques revenus, offre cinquante guinées pour sa part dans cette souscription. » Après avoir parlé de la nécessité qu’il y aurait de distribuer des terres aux familles réfugiées, en choisissant surtout dans les seigneuries de Beauharnois, Beaupré, la Rivière du Loup en bas, l’île Verte, les Trois-Pistoles, le Bic et Rimouski, Mgr Hubert s’occupe des ecclésiastiques : « Le séminaire de Montréal, dit-il, a un pressant besoin de sujets ; il se présente des paroisses nouvelles à établir ; plusieurs anciennes paroisses sont dépourvues de curés ;[4] d’autres trop peuplées pour être desservies par un seul prêtre, ont besoin de vicaires. » On ne voit pas

  1. Chose curieuse, en 1868, le trésor français payait encore des pensions aux descendants des Canadiens et des Acadiens réfugiés en France un siècle auparavant.
  2. Il n’est venu, de 1791 à 1799, que quarante prêtres et quelques familles.
  3. Les récollets et les jésuites.
  4. On a dit que, en 1783, soixante et quinze paroisses manquaient de curés, mais ce chiffre nous semble exagéré