nombre de torrents éteints, dont les bassins sont boisés, il en est dont les forêts ont subi la loi commune, et sont tombées en partie sous la cognée des habitants. — Eh bien ! le résultat de ces déboisements a été de rallumer la violence des torrents qui n’était qu’assoupie. — On a vu ainsi de paisibles ruisseaux faire place à de fougueux torrents, que la chute des bois avait réveillés de leur long sommeil, et qui vomissaient de nouvelles masses de déjections, sur des lits cultivés sans défiance depuis un temps immémorial. — C’est ce qu’on a remarqué surtout après les déboisements excessifs qui suivirent les premières années de la révolution : les ravages de plusieurs grands torrents ne datent que de cette époque[1]. — La même observation a aussi été faite dans les Basses-Alpes.
On peut citer, comme exemple, tout le revers situé sur la rive gauche de la Durance, depuis Savines jusqu’à la rivière de l’Ubaye. Il n’est formé que par une succession de lits de déjection appartenant à d’anciens torrents, qui s’étaient éteints après avoir rongé une grande partie de la montagne de Morgon. Tout ce quartier était couvert de forêts qui ont été éclaircies, et qu’on ne cesse d’appauvrir tous les jours. — Aussi les torrents ont-ils recommencé leurs ravages, et si les déboisements continuent avec la même incurie, ce revers, aujourd’hui fertile, sera ruiné comme tant d’autres[2].
- ↑ C’est depuis cette époque que le torrent de Merdanel s’est avancé vers le village de Saint-Crépin, dont les habitants sont aujourd’hui à peu près ruinés.
- ↑ On cite un assez grand nombre de rivières qui étaient navigables autrefois, et qui ne le sont plus aujourd’hui, à cause de leurs bas-fonds. Ce fait, qui semble d’abord en contradiction avec la loi générale des rivières que nous avons établie au chap. XXV, s’explique au contraire très-bien par la même analogie qui nous a servi à fonder cette loi.
— Beaucoup de rivières ont dû arriver à leur période de stabilité par la même cause qui l’a fait naître comme par anticipation dans un grand nombre de torrents : je veux dire le développement de la végétation sur la superficie des terrains du milieu desquels s’écoulaient ces cours d’eau. Quand celle-ci, en disparaissant, a de nouveau livré le sol à lui-même, la stabilité a été rompue, et les divagations ont recommencé dans les rivières, comme les ravages dans les torrents. — C’est donc au dénudement de leurs bassins qu’il faut attribuer l’altération fâcheuse qui s’est manifestée dans le régime de certaines rivières.
Cette explication a été souvent avancée, mais sans qu’il fût possible d’en donner une preuve directe. On le peut maintenant ; car l’exemple de ces torrents éteints, qui se rallument par le déboisement, est une véritable démonstration de ce fait. C’est en quelque sorte une expérience qu’on aurait faite directement, mais sur une moindre échelle, et en exagérant les conditions, afin de rendre les effets plus saillants et plus prompts.