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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/27

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que des lignes capricieuses ? Par quel hasard, entre une infinité de formes possibles, ont-ils pris justement celle-ci, qui est telle que les eaux l’auraient créée elles-mêmes, si elles ne l’avaient pas trouvée déjà toute faite ?

Il est donc raisonnable de penser qu’une cause régulière a coopéré à la formation des thalwegs, tandis que les faîtes ont été abandonnés à eux-mêmes. Il est également raisonnable de placer cette cause régulière dans l’action des eaux.

Il est vrai que cette hypothèse attribue aux eaux un pouvoir prodigieux, et bien éloigné des effets qu’elles exercent journellement sous nos yeux. Aussi faut-il bien comprendre la manière dont elles ont pu agir, dans la formation de leur courbe du lit, c’est-à-dire, du thalweg.

Lorsqu’on suit avec attention le cours de la Durance, on remarque que la vallée s’élargit et se resserre successivement, de façon à former comme un chapelet de bassins consécutifs, séparés par des étranglements. Ces bassins sont allongés dans le sens de la rivière ; leur fond est très-plat, et se détache nettement du pied des montagnes environnantes ; il paraît en quelque sorte nivelé par les eaux. Suivant une opinion généralement accréditée, ces sortes de cirques elliptiques sont les bassins, aujourd’hui comblés, d’anciens amas d’eau, emprisonnés à la manière des lacs. Il est probable qu’à une époque reculée, la rivière était remplacée par une succession de pareils lacs, échelonnés à différents étages, et communiquant entre eux par des cataractes ou par des rapides ; alors les eaux s’écoulaient, en tombant de bief en bief. Peu à peu les fonds ont été exhaussés ; les rocs, qui séparaient les bassins, ont été creusés, et les eaux ont fini par couler dans un lit uni, et sur des pentes continues. On a encore aujourd’hui l’exemple d’une pareille action dans les lacs consécutifs, situés au nord des États-Unis, et qui semblent destinés à se confondre un jour dans la rivière de Saint-Laurent.

On peut compter, sur la Durance, les formes très-visibles de cinq de ces lacs anciens, répandus depuis le col du Mont-Genève, où est sa source, jusqu’à la limite du département. On observe les vestiges du même phénomène dans les vallées du Grand-Buëch et du Petit-Buëch ; on les retrouve dans la vallée du Drac ; dans celle de la Romanche. En général, toutes les grandes vallées du département présentent des traces semblables[1].

  1. Voir le mémoire cité de M. Héricart de Thury.