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Page:Surell - Étude sur les torrents des Hautes-Alpes, 1841.djvu/303

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NOTE 20.

… On verra là quelle est, au sujet du reboisement à effectuer sur une grande échelle aux frais du trésor, l’opinion d’un homme dont on ne contestera pas sans doute l’autorité, dans un sujet qui touche aux intérêts matériels du pays…
Chap. LX, page 203.

Je veux parler de M. Michel Chevalier. Voici comment il s’exprime dans son ouvrage intitulé : Des intérêts matériels de la France.

« … En outre des travaux effectués en lit de rivière, il y aurait d’autres mesures qui exerceraient, au dire d’hommes expérimentés, une salutaire influence sur la navigabilité des cours d’eau naturels, et qui intéresseraient les canaux eux-mêmes, puisque, pour s’alimenter, ceux-ci sont obligés de recourir aux rivières : et aux plus modestes ruisseaux. Je veux parler spécialement de la replantation des montagnes que l’on a dépouillées de leurs bois avec tant d’imprévoyance, et que l’on abandonne dans leur nudité par une coupable inertie ; où même, par une fatale condescendance pour de mesquins intérêts que la loi ne reconnaît pas, et qu’au contraire elle repousse, l’on empêche les forêts de se reproduire par le seul effort de la nature. Les pluies et les neiges, lorsqu’elles tombent sur des cimes pelées, s’écoulent ou s’évaporent avec une rapidité extrême ; au lieu de maintenir les fleuves et rivières à des niveaux moyens, dont profiteraient les bateliers, et dont se féliciteraient les propriétaires riverains, elles produisent alors des crues subites, des inondations qui suspendent la navigation, dévastent les propriétés en les couvrant de graviers, et quelquefois les rongent et les entraînent ; puis, après les débordements, viennent brusquement des basses eaux, qui ne cessent que de loin en loin et pour de courts délais à la faveur de quelque orage. Avec un déboisement déréglé, nos pays tempérés se rapprochent ainsi des régions méridionales, où il n’y a que des torrents pendant le printemps et l’automne, des filets d’eau imperceptibles au milieu d’un océan de sable pendant l’été, et jamais de rivières faciles et maniables.

» Il ne s’agit pas de rendre le sol de la France aux forêts primitives. Parmi les déboisements effectués depuis cinquante ans, il y en a beaucoup qui seront profitables au pays. Le déboisement est une conquête de l’homme sur la nature ; les bois doivent disparaître des plaines et y céder la place à la culture. Mais on ne s’est malheureusement pas borné à découvrir ce qui, dans les vallées, pouvait être sillonné par la charrue, ou ce qui était appelé à fournir de gras pâturages ; on a arraché les arbres de cantons stériles, où le bois seul devait croître ; on a imprudemment livré à la hache les flancs et les cimes de nos montagnes ; puis, le régime de la vaine pâture, affranchi de toute surveillance, et une vicieuse administration des forêts publiques et privées, ont empêché la reproduction des bois après la coupe. L’insouciance des agents de l’État et des communes a fermé les yeux sur les abus les plus destructeurs. Aujourd’hui les communes et l’État possèdent des milliers, des millions d’hectares de forêts nominales, où il y a tout juste autant de végétation que dans les