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À SUSE.

les caractères saillants de certaines races noires. Le front, haut de deux doigts, est entouré de cheveux plantés en rond ; le crâne est petit, la bouche lippue, les talons saillants. Leur goût ou leurs habitudes les portent à se réunir dans des villes ou des villages bâtis. Je considérerais volontiers les Dizfoulis comme les derniers représentants de la vieille race susienne.

Bien que nous ayons engagé le rebut de la population, la plupart des citadins venus chez nous ne sont dépourvus ni d’intelligence ni d’adresse, qualités qui vont s’atrophiant au lieu de se développer avec l’âge.

La violence de leurs sentiments religieux contraste de la façon la plus brutale avec leur extrême pusillanimité et leur morale pervertie. Ils tremblent à la vue de la plaque du ceinturon militaire, s’humilient devant la mine chafouine d’un ferrach du gouverneur et craignent les nomades au point de ne pas oser franchir les trois cents mètres qui séparent le gabr de nos tentes s’ils ne se forment en groupe compact. Sur cent, il s’en trouve six qui lisent couramment et deux qui écrivent mal. Tous parlent un patois traînard, mêlé de mots locaux étrangers aux vocabulaires persan, arabe ou turc. Leurs vêtements usés, déteints, témoignent d’une excessive misère. Cette pauvreté expliquerait jusqu’à un certain point leurs infirmités morales et physiques.

Les plus élégants portent deux koledjas (redingotes) taillées dans une cotonnade de couleur voyante, croisées sur la poitrine et fermées par une ceinture enroulée autour de la taille. La première est pourvue de manches largement fendues, qui laissent paraître les manches ajustées de la seconde. Ces vêtements à pans tombent sur un ample pantalon de coton bleu, large comme une jupe. Une calotte de piqué blanc entourée d’un turban bleu, dont une extrémité flotte sur la nuque, coiffe les hommes mûrs ; le bonnet de feutre noir ou brun, pareil à celui des habitants de l’Adjem, est adopté par les jeunes gens. Les sybarites chaussent des guivehs grossiers ; le ciel, dans sa clémence, s’est chargé d’endurcir les pieds des plus pauvres et de les pourvoir de souliers inusables.

Le beau sexe est représenté par la femme du cuisinier, les épouses plus ou moins légitimes de quelques ouvriers, trois ou quatre fillettes noiraudes et sauvages. Jeunes ou vieilles montrent, sous le tchader qui les couvre des pieds à la tête, une figure maussade à guérir de l’amour les chimpanzés eux-mêmes. L’accès du campement est interdit aux dames ; néanmoins elles rodent sans cesse autour de nous, dans la pieuse intention de s’approprier tout ce qui traîne. À part cette affection pour le bien d’autrui, une curiosité insatiable et une habileté sans pareille à dissimuler sous leur voile inviolable les objets les plus volumineux, je ne saurais constater chez les femmes dizfoulies qu’une surprenante paresse. Quand elles ne s’installent pas devant nos tentes des heures durant, elles se perchent comme des guenons sur