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À SUSE.

de la poudre sous prétexte d’intimider les maraudeurs nocturnes, ils ont subi la peine du talion.

Depuis le double assaut dirigé contre la batterie de cuisine et le poulailler, deux hommes montent la garde dans notre camp et se tiennent éveillés en chantonnant sans trêve ni repos. Nous nous sommes habitués à cette berceuse monotone ; quand la mélopée s’interrompt, chacun ouvre les yeux. Cette nuit les cris de terreur succèdent aux chants, des coups de feu retentissent, les balles sifflent autour des tentes. La carabine et le revolver à la main, nous sortons. Des cavaliers arabes, les bras embarrassés d’objets volumineux, passent, lancés au triple galop. Ils fuient devant les Loris. On crie à réveiller Daniel ; on tiraille dans la nuit noire, tandis que le bruit des chevaux emportés va toujours s’assourdissant.

Deux heures plus tard, les garavouls (sentinelles) donnent de nouveau l’alarme : ils ont vu des ombres, ils ont entendu des cailloux rouler le long des talus.

Marcel prend la tête de la patrouille ; nous fouillons, mais en vain, les crevasses voisines, et la promenade s’achève avec le jour.

L’algarade a été chaude. Juments, poulains et agneaux manquent à l’appel chez les Loris, mais les Beni-Laam ont laissé une victime sur le théâtre de leurs exploits. Peu satisfaits de cette aubaine, les fidèles sujets de Kérim Khan ne se sont pas mis en frais d’oraison funèbre : le pauvre diable qui gisait au pied du tumulus la tête traversée par une balle a été chargé sur un mulet, jeté dans une fosse creusée auprès du tombeau de Daniel et enfoui sans tambour ni trompette.

Les nuits ne sont pas seules agitées depuis l’arrivée de nos encombrants voisins. Les nomades n’ont-ils pas rêvé de la plus pure théorie socialiste ?

Dès l’aurore, la tribu envahit les tranchées, expulse les Arabes et les Dizfoulis trop peu nombreux pour protester, et prend leur place, au nom des droits imprescriptibles de tous les hommes au travail. — Et pourtant la presse ne fleurit pas dans le désert ! — Les vainqueurs réclament le salaire quotidien octroyé à nos premiers terrassiers, mais s’asseyent nonchalamment sur le sol dès qu’on leur confie une pelle.

Hier matin ils étaient plus de six cents ; nous dûmes arrêter les travaux et déclarer que personne ne serait payé. Les soixante-dix Loris, embauchés dès notre arrivée, se plaignirent à leur chef ; Kérim Khan accourut avec son frère, ses fils et son fameux bâton, et, les uns aidant les autres, ils mirent en déroute les importuns. Jamais effrontés moineaux ne s’envolèrent aussi vivement ; les rampes des tumulus étaient noires de fuyards. À midi le calme régnait dans les tranchées.

29 mars. — Les expulsés avaient juré de tirer de nous une noire vengeance ; ils ont tenu parole. On vient de prévenir Marcel que, profitant d’une nuit sans lune, les Loris ont brisé les taureaux en jetant les petits fragments contre les gros.

La pierre est dure et les nomades paresseux ; pourtant des blocs déjà fendus