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À SUSE.

bêtes sauvages était imminente. De tous côtés arrivaient au palais des nouvelles menaçantes ; Mozaffer el Molk tremblait. Il comprenait que ses fameux canons se tourneraient d’eux-mêmes contre lui. Mohammed Taher fut supplié d’arranger une affaire si mal engagée et d’obtenir, contre promesse de cesser la perception du nouvel impôt, le retour de l’imam djouma.

Les fils du cheikh, chargés de cette délicate mission, arrivaient au Gabr cette nuit même. L’imam djouma n’a point fait la sourde oreille à des propositions de paix. Sa rentrée à Dizfoul s’annonce comme un triomphe. Il sera nommé député aux prochaines élections… Mais j’oubliais : la Perse n’est pas à la veille de s’offrir un gouvernement représentatif ! Doit-elle-le regretter ?

Imam et messagers vinrent nous saluer. La conversation roula sur les mérites d’un émule méconnu de Pasteur, le cheikh de Djeria, notre voisin. Ce digne seïd est demeuré en si bonne intelligence avec Nabi Mohammed, son aïeul, que ses seuls attouchements guérissent les morsures des chacals les mieux enragés.

Hélas ! les pouvoirs du saint ne s’étendent pas jusqu’au soulagement des infortunés habitants de la Susiane, trop éloignés du pouvoir central, privés de toute communication avec la capitale, toujours livrés à des gouverneurs insatiables.

Puis sont venus sur le tapis les problèmes les plus ardus de l’économie politique, la cherté du pain, la misère générale, les pluies trop abondantes de l’année dernière, attribuées à notre intervention auprès du ciel, la sécheresse actuelle, due à une semblable origine.

« Sous ces tentes légères ne craignez-vous par les attaques des nomades ? a demandé l’imam djouma.

— Dieu est grand ! nous avons de bonnes armes.

— Il n’y a pas un homme, fût-il Arabe, Persan ou fils du diable, qui oserait camper sur ces hauteurs désertes où courent la nuit les vents malfaisants et les mauvais génies. Que faire contre des légions d’esprits ! Avez-vous des enfants ?

— Non.

— Pas même des filles ?

— Pas même. D’ailleurs, en nos pays, nous estimons avoir des enfants quand le ciel nous envoie des filles.

— C’est naturel, a conclu un malin, très humilié de l’ignorance de son chef. Dans le Faranguistan la barbe est le signe distinctif de notre sexe ; hommes et femmes vivent et s’habillent de la même manière, savent également lire, écrire, calculer, monter à cheval et manier fusil ou revolver. Il en va tout autrement dans l’Arabistan. Femmes ou filles ne sont pas même bonnes à surveiller le pilau, et je doute qu’on puisse leur demander mieux de longtemps. »

Papi Khan et son neveu Mohammed Khan, fils de Kérim, se présentaient dès